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19/01/2014

Grand débat du « Réseau Intelligence de la Complexité » et Séminaire de formation « AgirPenser en complexité »

Toutes les organisations contemporaines sont confrontées à une complexité ressentie comme  croissante, complexité que l’on attribue aux interactions conjuguées des interdépendances à la  fois locales et mondiales, des mutations technologiques qui entraînent de profondes mutations sociétales et culturelles, et des multiples dérèglements d’ordres divers (écologiques, climatiques, financiers, géopolitiques, etc.).

Sous des formes diverses, la responsabilité de conduire ces organisations selon des critères économiques, sociaux, environnementaux et éthiques est assurée par des groupes  d’hommes et de femmes (dirigeants, animateurs, présidents, coordinateurs, etc.) confrontés dans l’action quotidienne à des situations qui exigent des renouvellements multiples et multidimensionnels de leurs capacités d’entendement.

On ne peut plus faire sans chercher à comprendre ce que l’on fait et pourquoi on le fait. Cet adage, banal pour les individus, devient essentiel pour la conduite de ces systèmes d’action collective que sont les organisations contemporaines. C’est à cette question lancinante et prégnante que sont aujourd’hui confrontés tous les groupes de dirigeants et d’animateurs qui portent la responsabilité de conduire, avec des obligations de résultats correspondant à leurs finalités, des organisations qui, à la fois agissent et évoluent, façonnent leur environnement en même temps qu’elles s’organisent elles-mêmes en interagissant avec des contextes eux-mêmes en transformation continuelle.

La responsabilité de conduire leurs organisations avec efficience devient indissociable de la responsabilité du « travailler à bien penser », à concevoir, à former projets, à expliciter les orientations et les choix par lesquels nos organisations transforment notre présent et façonnent notre futur. Travailler à prendre du recul par rapport à leurs formatages cognitifs ; à comprendre que la réalité n’est pas donnée, mais qu’elle se construit à travers nos actions ; à comprendre que les processus d’élaboration des décisions conditionnent les décisions ; à savoir enrichir leur vision et la partager en organisant la délibération collective, etc.

« Agir<—>Penser en complexité » c’est représenter et modéliser la situation dans laquelle on intervient en prenant en compte nos intentions ; raisonner (argumenter et délibérer) de manière intelligible sur des modèles, afin d’élaborer des moyens d’actions possibles, en restant attentifs à la ré-adéquation permanente des fins et des moyens.

Pour plus d'informations :

Grand débat du « Réseau Intelligence de la Complexité » http://www.intelligence-complexite.org/fileadmin/docs/1312gddebat.pdf

Séminaire de formation « Agir<—>Penser en complexité » http://www.formation-continue.inp-toulouse.fr/fr/formation_qualifiante/agir-penser-en-complexite.html

10:06 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

01/10/2013

Data visualisation et intelligence organisationnelle

Ce message pour vous informer de l’ouverture du blog (http://pfleurance.com) consacré i) aux données et informations organisationnelles et managériales ; ii) à leur intelligence par des traitements secondaires de modélisation systémique ; iii) à l’amélioration de leur compréhension par l’utilisation d’outils informatiques récents de « data visualisation ».

Ce nouveau blog s’inscrit dans la continuité du blog http://pfleurance.hautetfort.com élaboré chemin faisant lors de la formation « Trajectoire Manager Sport » en vue de contribuer à former des cadres de haut niveau pour le management sportif. Bien que n’étant plus engagé dans cette action, nous le maintenons pour mémoire : i) d’une réalisation concrète d’une ingénierie de formation fondée sur les concepts des sciences de la complexité ; ii) des problématiques de management qui y sont abordées dans le contexte organisationnel actuel du sport ; iii) des ressources documentaires et études de cas à dimensions multiples concernant les différents sujets évoqués lors de la formation. Des documents concernant des actions de management continueront à y être indiqués.

Le mouvement général de ce nouveau blog peut être résumé comme suit : des données primaires/sources (en s’interrogeant sur la façon dont elles sont construites) -> vers leur traitement aboutissant à des données secondaires/métadonnées (en s’interrogeant sur la façon dont elles sont agrégées) -> vers leur visualisation et/ou simulation graphique - numérique, en amont d’éventuelles décisions, permettant ainsi une exploration active des métadatas (en s’interrogeant sur la façon dont la visualisation aide ou contraint la compréhension). Nous y reprendrons et affinerons l’orientation de travail exprimée à l’occasion du compte rendu des JOP 2012 :

http://pfleurance.hautetfort.com/archive/2012/11/09/vers-une-intelligence-strategique-les-jeux-olympiques-et-par.html

Vous y trouverez des textes d’argumentation concernant cette orientation de travail « Data Visualisation » et des travaux concernant différents sujets 

 

13:27 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

08/06/2013

Modéliser/visualiser la dynamique des acteurs pour (re)penser le pilotage des projets dans des environnements complexes et incertains

A propos de mon intervention dans le séminaire Insep 11 – 13 juin 2013 : « Construction d’outils de promotion et de pilotage de projet pour les chefs de projet sport » (cf. la présentation).

Cette intervention est initiée et structurée autour d’un questionnement concernant i) L’aspect programmatique et linéaire de la conception de projet et des outils procéduraux supportant cette vision ; ii) La seule vision des outils comme instruments pour atteindre une fin, minorant ainsi le fait que nous habitons le monde et que les outils plus largement, constituent, étayent, modifient, enrichissent notre expérience humaine dans « l’anthropo – techno – cène » ; iii) Les outils permettant de visualiser/cartographier les traces de l'activité de/dans l'organisation et aidant ainsi à la gouvernance de celle-ci dans des environnements complexes et incertains où la maîtrise/suivi de l’information joue un rôle important.   

here lies.jpg1. Le projet nous conduit tout autant que l’on le conduit ! « Ce qui est généré, génère à son tour ce qui le génère » (E. Morin 1997), ce phénomène de Path Dependance signifie que l’action pratique résulte tout autant de causalités historiques complexes que de l’affirmation d’un but/projet                                                     http://pfleurance.hautetfort.com/list/textes-de-philippe-fleurance/78674714.pdf

Cette orientation invite à articuler i) La classique « épistémologie de la possession », dominante dans nos sociétés qui privilégie le savoir détenu par l’individu et qui conduit à des ingénieries de l’individualité et ii) Une « épistémologie de l’action », qui pointe l’élaboration de connaissances au fur et à mesure de la pratique et qui conduit à des ingénieries des actions et des interactions en contexte, chemin faisant. Les outils ne sont pas « neutres » : ils sont porteurs d'une théorisation du « réel ». Mais de quel « réel » ? Le pilotage de projet ne peut alors s'exprimer de manière analytique, tels que le proposent certains outils « rapides, faciles, efficaces » : les repères et les actions de contrôle ne sont pas données a priori mais sont parties intégrantes de la construction de dynamiques singulières de management.

nuage pt modelisation.jpg2. Making Sense Data ! Un retour sur nos moyens de représentation et de compréhension. La rencontre de la recherche et du design (A. Cadix, 2013) : « Le design est l'art de donner forme aux objets à dessein, … Il convient donc, d'une part, de trouver une fonction intégratrice de connaissances abondantes et protéiformes et une fonction médiatrice entre l'univers de la science et la société : le design peut assumer cette double fonction ». Les designeurs soulignent ainsi l’importance des outils de visualisation - notre présentation en propose quelques uns - des « traces sociales manifestes » de l'activité de/dans l'organisation pour :

- Aider à la gouvernance d’une organisation dans des environnements complexes et incertains où la maîtrise/suivi de l’information joue un rôle important (DG – DTN - …)

- Mettre en récit, raconter l’histoire de ses données,

- S’appuyer sur les  langages graphiques émergents,

- Utiliser des techniques de visualisation pour augmenter la compréhension de systèmes complexes,

- Exploiter des saillances visuelles « artefactuelles » pour mettre en valeur/trouver des « prises » d'intelligibilité des données,

- Améliorer la visualisation graphique pour permettre une « conversation réflexive » avec les données, 

- Accompagner par la modélisation/visualisation Modélisation d’accompagnement, …

 

 

09:58 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

24/05/2013

Une intelligence collective technologiquement augmentée : « la mort » d’Excel ? Une nécessaire réflexion sur les outils de gestion

data.jpgLe cadrage du séminaire 7 de l’Executive Master « Trajectoire Manager Sport (TMS) » « Du contrôle de gestion à l'intelligence stratégique en gestion » et l'étude à propos de « La face cachée des outils de gestion et le pouvoir structurants des outils » m’ont permis d’avancer - dans mon intervention - quelques réflexions sous la forme d’un document « Prezi » disponible à cette adresse : http://prezi.com/vje3upnaxdk6/tms-23-mai-aix/?kw=view-vje3upnaxdk6&rc=ref-4707909

Nous souhaitons d’emblée mettre l’accent sur la dimension ingénierique en avançant « ... l'inefficacité des théories aussi longtemps qu'elles ne sont pas accompagnées des instruments et des compétences qui leur donne un sens et un intérêt, ... ce ne sont pas les théories mais les dispositifs dont sont issues ces théories qui changent le monde, ... » (Michel Callon, 1999) et que si « A l'absence de vision, on a substitué un entêtement obsessionnel de l'efficacité des moyens ; … la stratégie ne se résume pas à l'organisation efficace de moyens pour atteindre un but » (P. Baumard, 2012). Le développement contemporain des sciences et pratiques d’ingénierie des systèmes complexes appelle cette réflexion. L’intervention s’est organisée autour de cinq grands thèmes qui sont autant de pistes à approfondir en suivant les liens hypertextes qui sont proposés.

1. Des outils de gestion on fait d'abord et avant tout l'expérience de la manifestation. Cette partie retrace le dispositif méthodologique de l’étude citée en référence et vise à qualifier « de quoi on fait l’expérience ». En termes de méthodes, il s’agit avant tout, d’éviter le caractère catégorisant à priori et veiller à ce que les dispositifs d’étude ne se transforment en grilles d'analyse préconstruites qui occultent la réalité à laquelle ils prétendent donner accès

S’éloignant - en conscience - d’une conception fantasmée de l’objectivité des sciences dures appréhendant les pratiques sociales, nos procédures s’inspirent d’une philosophie pragmatique et phénoménologique pour « faire avec » des process multi-niveaux, multi-échelles. La diversification des procédés de documentation de l'activité et la variation d’échelles permettent de construire des objets complexes et, de prendre en compte « la structure feuilletée du social ».

2. Cette partie veut discuter une dichotomie répandue qui perçoit dans la « gestion » le caractère instrumenté et quantifié de la conduite de l’action collective et dans le « management » les aspects, plus qualitatifs, de direction et  d’animation des équipes. L'esprit gestionnaire « evidence based policy » appuyé sur la sacralisation des chiffres laisse à penser qu’à travers un jeu d'indicateurs « simples » on pourrait disposer d’un outil de pilotage stratégique par les nombres.

Ouvrir la boîte noire de la construction des instruments de quantification, c’est mettre en évidence les objectifs d’action qui ont présidé aux choix effectués pour définir les critères retenus pour construire ces outils et les méthodes mises en œuvre.  Ils sont révélateurs des formes et des objectifs de l’action publique, et de la conception du bien commun qui leur est sous-jacente. La lecture de l’ouvrage « Désacraliser le chiffre dans l'évaluation du secteur public » d’Albert Ogien (2013) est d’une grande utilité

3. Un impensé des sciences de gestion : les outils - outre leurs qualités intrinsèques - structurent aussi l'action collective ! « … comptabilité analytique, tableau de bord, target costing, se muent en acteurs capables de vouloir, décider, imposer, chercher, trouver, choisir, animer à eux seuls la scène de l’entreprise, dans une sorte de théâtre animiste dont les personnages sont des instruments de calcul, des systèmes d’imputation et des tableaux d’indicateurs » (Lorino 2002 texte ci-contre). Les outils de gestion - entre autres outils - ne sont pas neutres : ils sont porteurs d'une théorisation du « réel ». Mais de quel réel ? Voila bien la question qui est adressée au manager créateur de son « monde propre » (cf. séminaire 2).

Si l'on admet que la coordination des actions humaines est problématique et ne résulte pas de lois de la nature (physique et sciences expérimentales standard), on peut comprendre que la rationalité humaine est d'abord interprétative et non pas seulement ou d'emblée calculatrice. (Girin, 1990). Et ceci, nous amène à discuter de l'idée de rationalité en sciences de gestion et des organisations. (H. Simon 1992 http://pfleurance.hautetfort.com/list/seminaire-4-manager-dans-la-contingence/1596441729.pdf)

4. Le passage du national (la CO) au local (le PES) : la question de l'intégration multi-échelles et les « big data » traverse l'ensemble des process. Un retour sur nos moyens de représentation et de compréhension : mettre en récit, raconter l’histoire de ses données, s’appuyer les  langages graphiques émergents, utiliser des techniques de visualisation pour augmenter la cognition, exploiter des saillances visuelles « artefactuelles » pour mettre en valeur/trouver des prises d'intelligibilité des données, améliorer la visualisation graphique pour permettre une « conversation réflexive » avec les données, …

Un certain nombre d’instruments informatiques sont aujourd’hui mature pour une utilisation quotidienne (Gephi, NodeXL, Wordle, Wordtree, navicrawler, Tableau, Netlogo, …) et apporter une aide à la gouvernance des organisations dans des environnements complexes et incertains où la maîtrise/suivi de l’information joue un rôle important

5. Dép(l)acer les bornes de l'écosystème pour assurer une gouvernance partagée : la fin d'un cycle managérial ? En nous appuyant sur un questionnement vis-à-vis de la notion de valeur, nous amenons à discuter de la seule pertinence - dans le domaine du sport - des théories classiques en économie qui rapportent la valeur des biens à la quantité de travail nécessaire à leur production et/ou à l’idée que c'est l’utilité des biens qui fonde leur valeur. Certes, ceci concerne les biens d'un certain type, c'est-à-dire ceux qui sont échangeables ou dont la valeur est quantifiable en termes d'argent. Le phénomène économique sera donc « combien de biens sont produits », « comment change la valeur des biens », « combien de biens sont échangés », « combien l'échange de biens augmente leur valeur et la richesse », etc. Est-ce que le manager sportif peut avoir cette seule option en tête ?

Fondamentalement, la question de la valeur pose celle de la manière dont on va internaliser les externalités qui sont très nombreuses dans le domaine du sport. De même nous apparait pertinente, l’économie des singularités qui rend compte de toutes les transactions portant sur des biens multidimensionnels et de qualité incertaine dont leur échange marchand est caractérisé par une incertitude radicale : (1) une incertitude stratégique qui renvoie au risque d’inadéquation entre une singularité et son client potentiel compte tenu du caractère multidimensionnel des biens singuliers ; (2) une incertitude sur la qualité, car au moment de la transaction, les singularités ne sont que des promesses, l’évaluation de leur qualité est différée en contexte (avocat, spectacle, …).  L’ouvrage « Manifeste pour une comptabilité universelle » (2013) d’un collectif d’experts comptables (...) ouvre la voie à la prise en compte des dimensions sociale, environnementale et de gouvernance qui viendraient compléter la comptabilité économique classique. 

13:43 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

15/05/2013

La multiplication des intervenants autour de la performance sportive : réponses à une interview

dd.jpg1. Quel regard portes-tu sur la multiplication des intervenants (en général) autour de la performance sportive ?  Et en particulier sur les données psychologiques et  mentales ? D’abord un constat : Les études que nous avons menées sur les formes contemporaines de l’efficacité de l’action autour des sportifs de haut niveau amènent à constater une division du travail de plus en plus accentuée ; ce mouvement de spécialisation renvoie à la prise en compte de différentes activités qui apparaissent nécessaires à l’obtention d’une meilleure performance : spécialisation technique, préparations physiques spécifiques, élargissement de la palette des soins, travail sur le mental, sur la diététique, mais aussi sur la logistique, le management, l’accompagnement, ... Evidemment, les membres de ce « staff » sont le plus souvent hétérogènes en termes de pratique de référence, de culture et d’appartenance organisationnelle.

Chaque corporation intervenant dans le process de performance - se considérant comme indispensable - cherche à valoriser et à maximiser son intervention sur la base de savoirs très segmentés : il s’en suit une série de prescriptions paradoxales en direction de l’athlète, voire de l’entraineur. La tradition individualiste concernant l’explication de la performance humaine en sport a été d’identifier et de mettre en exergue des « déterminants » de la performance et par suite de construire un dispositif et des contenus d’entrainement sur ces bases. Concrètement, cela conduit à proposer des « ingénieries de l’individualité » que chacun peut repérer dans les différents types de préparation sportive proposés actuellement. Malgré les changements constatés ci-dessus, cet acquis historique n’est actuellement plus discuté sur le fond et tout semble aller de soi.

Mais on n’additionne pas les paramètres de la performance et la recherche de maximisation de chaque paramètre ne garantit pas la performance finale : le comportement agrégé - typique des systèmes adaptatifs complexes – est insaisissable là d’où viennent ces théories et ces modélisations non interactives des éléments de la performance n’entrainent pas les managers, les entraineurs, les athlètes à faire face à l'imprévu des situations de compétitions et bien peu se reconnaissent dans les visions analytiques et causalistes trop souvent éloignées de leurs vécus ainsi que de leur approche en situation réelle de compétition. Prendre acte de ceci a de nombreuses implications que nous essayons de manifester depuis plusieurs années dans nos études. Citons brièvement deux points parmi d’autres :

Les observations concernant l’expertise des athlètes mettent en évidence des formes d’activité ou des modes d’adaptation très efficaces et singuliers sans que, la plupart du temps, ceux-ci n’aient fait l’objet d’une intervention spécifique lors de l’entrainement. Ne se préoccupant généralement pas de l’action « agrégée » en situation, les recherches « segmentées » ne proposent pas de théories du développement des expertises singulières, et modélisent ce développement comme étant essentiellement l’apprentissage de processus isolés (… cf. les catégorisations usuelles physique, technique, mental, …) dont la reliance et les implications de celle-ci, ne sont jamais envisagées. Prenant l'individu et/ou un process isolé comme échelle élémentaire et centrale de la représentation des phénomènes étudiés, elles tendent même à considérer qu’il suffit de connaître ce qui différencie des athlètes experts, d’athlètes moins experts pour envisager ipso facto, des principes d’entrainement quel qu’en soit la nature (psychologique ou autre). Ce faisant, elles définissent implicitement l’intervention en entrainement comme la seule mise en œuvre de principes découlant rationnellement de connaissances sur des process d’athlètes experts. Et une telle mise en œuvre est pensée comme ne posant pas de problème particulier … On sait aujourd’hui qu’un tel présupposé est problématique. Penser l’entrainement comme l’application de règles issues de recherches sur le contrôle de la performance, se révèle insuffisant pour envisager la coordination des ressources disponibles autour de l’athlète.

C’est pour ces raisons que nous avons positionné le métier d’entraîneur national comme « chef de projet performance » invitant ainsi à quitter la référence habituelle au paradigme du « premier de cordée » - constitutif de la formation initiale des cadres techniques - pour entrer dans l’univers plus complexe du « chef d’orchestre ». D’autant que ceci ne concerne plus seulement les entraineurs, car de plus en plus d’athlètes souhaitent s’entourer de compétences qu’ils choisissent, voire créer leur propre structure d’entrainement.

La question du management des collectifs « performance » devient alors essentielle : de l’optimisation des ressources à la coordination des ressources, la vision « acteur-réseau » interroge les conceptions uniquement personnalistes et oblige à discuter un schéma ancien  (a-t-il réellement  existé ?) qui plaçait l’entraîneur au centre du système. Dans ce que l’on pourrait appeler un réseau d’acteurs, les comportements sont de fait interdépendants : les actions des différents acteurs dépendent à la fois de l’information sur la stratégie des autres acteurs et de la capacité à la rendre signifiante dans le projet global de performance. Dès lors, la complexité des systèmes sociotechniques « vivants » pose un véritable challenge : nous avons de réelles difficultés à synthétiser une quantité importante d’événements interactifs afin d’en comprendre les effets. Les systèmes qui ont pour propriété caractéristique de regrouper un certain nombre d’entités font évoluer et complexifient - par leurs interactions avec les autres éléments et avec leur environnement - l’organisation interne de l’intégralité du système. Il est quasiment impossible de prévoir l’évolution de tels systèmes de par le nombre d’entités en présence et leurs interactions. Ceci incite à questionner les approches réductrices essentiellement centrée sur les individus, leurs états mentaux et leurs intentions comme uniques déterminants des réalités vécues et ainsi, à chercher des modèles rendant mieux compte de la complexité des collectifs au travail. C’est dans cet esprit que nous avons créé le contenu de la formation « Trajectoire Manager Sport » http://pfleurance.hautetfort.com  

2. Ton  regard sur l'accompagnement psychologique à la performance a-t-il évolué au fil de ta carrière, et quelles sont les conséquences ou enseignements que tu en as tirés ? Au cours de mon parcours à l’Insep, j’ai été amené à faire évoluer mes questions sur l'accompagnement psychologique et la manière de l’aborder. L’évolution de mes réflexions a été influencée (i) par la nature des questions à traiter, largement marquée par les demandes des acteurs du monde sportif et ceci, en cohérence avec le positionnement institutionnel à l’Insep, d’une recherche « finalisée », « utile » ; (ii) par le peu d’évolution des questionnements épistémologiques et des connaissances dans le domaine de la psychologie du sport et des sciences de la cognition, en général (iii) par la progression de mes réflexions et de mes travaux personnels. Ceci m’a conduit à réfuter la notion de « mental » telle qu’elle est employée généralement par les  préparateurs du mental (http://preparation-mentale-pfleurance.hautetfort.com/list/elements-de-discussion-qu-est-ce-que-le-mental/2115154206.pdf). J’ai cherché à réagir - au moins - à deux dérives :

L’excessive personnification et psychologisation. Une personnification et une simplification des relations sociales, des activités sportives, …  tend à proposer une explication universelle (a-situé) et intemporelle de l’action (au sens pragmatique et phénoménologique) et à minorer le rôle des facteurs organisationnels, interactionnels, d’apprentissage, … Dans ce contexte, il n'est pas étonnant qu'en cas d'échec, c'est logiquement la personne qui est en cause : elle ne sait pas s'adapter, elle est stressée, elle a besoin de retrouver l'estime de soi, … Le risque est de tomber dans les pièges lucratifs de cabinets de « conseils » peu scrupuleux abordant ces questions sur un mode individuel et psychologique, questionnaires douteux à l'appui allant chercher les failles non pas dans l'organisation du travail, mais dans celle de la vulnérabilité inhérente à l'humain en activité de performance. Le masquage de la complexité induit par cette approche personnaliste ne contribue que très peu  à améliorer le problème de la complexité de l’action, car les acteurs n‘ont plus conscience de la globalité du système, de ses interrelations …

L’oubli de l’action (au sens pragmatique et phénoménologique) et de la corporéité. En assimilant l’esprit humain à un système informatique dont les compétences computationnelles signifient l’intelligence humaine, les sciences de la cognition sont parvenues à une conception de la connaissance qui la rend indépendante des conditions biologiques (mais aussi historiques et sociales) de sa réalisation en tant qu’action intégrée et finalisée dans un environnement naturel. Un système intelligent doit être en contact continu avec le monde physique pour agir et effectuer des tâches et pour cela, il doit posséder un corps ! Le paradigme alternatif  de l’Autopoïèse - auquel je me réfère - traite de l’esprit prolongé (extended mind) et de la cognition encorporée (embodied cognition) pour penser la relation circulaire action – cognition. Les implications de cette analyse m’ont conduit à questionner et réfuter le paradigme de l’enseignement des habiletés mentales pour mettre en perspective l’intelligibilité de l’expérience vécue, de l’agi en situation, privilégiant ainsi les aspects émergeants et auto-organisés de l’action située.

3. Si tu fais une différence entre ces 3 pratiques (psy/ PM/ coach), quelle est elle ? Un ouvrage de Paul Fraisse paru en 1980 et imaginant la psychologie de l’an 2000, me permet d’expliquer ma position : « Je vois l'avenir ouvert à des hommes qui, à partir d'une formation spécialisée, auront acquis une formation pluridisciplinaire qui leur permettra d'évaluer le poids  des différences variables impliquées dans chaque problème. Je ne sais pas comment les appeler … Je proposerai, comme un défi, de les appeler des anthropologues. ». Accompagnement, tenir conseil, supervision, tutorat, soutien, mentorat, parrainage, partenariat, système d’aide, entraide, médiation, coaching, groupe de rencontre du travail, retour d’expérience, … de nombreux termes porteurs de sens si différents ?

En dehors des querelles d’écoles, je ne suis pas sur que toutes les dimensions contenues dans ces termes, ne jouent pas à un moment ou à un autre, dans la démarche d’accompagnement entendue comme activité pratique. A priori, je ne m’appuie donc pas sur les technicités des pratiques d’interventions pour envisager le sens du projet. Ce qui me semble important de questionner est la relation « classique » d’aide définie essentiellement à partir du schéma de la réparation et/ou du manque pour jeter les bases d’une « aide à la relation » d’accompagnement. En avançant par exemple, le caractère « d’optimalité contingente » - et non de maximisation - la « psychologie positive » m’apparait aller dans ce sens.

4. Dans quelles circonstances as-tu eu l’occasion de côtoyer/ travailler avec l’un ou l’autre de ces spécialistes, et avec quels objectifs et résultats ? Pour illustrer ceci je reviendrais sur les groupes de rencontre des Directeurs Techniques Nationaux « Retour et Partage d’Expérience » que nous avons animés. Il s’agissait d’organiser et de faire vivre un lieu d'élucidation collective des différents enjeux « DTN » sur des sujets singuliers, très spécifiques, propres au management stratégique de projets dans un système de régulations croisées état - fédérations et dont la littérature fait rarement état : comment travailler à transformer l’expérience singulière de chacun en connaissances utiles pour l’action efficiente de tous ?

Dans le management des « risques » inhérents à l’accompagnement des situations sportives, la variabilité de la performance ne peut être niée, et cette variabilité est, tout à la fois, source de succès et d’échecs : elle peut être vue comme le résultat de combinaisons inattendues de la variabilité de la performance « normale » faisant face à la complexité du monde réel. Las des catégorisations génériques ! Un individu, un système est toujours singulier dans la mesure où il n’est pas « substituable » : sa place ou son rôle ne peut pas préexister à l’individuation en acte qui fonde son existence.

Il nous faut alors développer de nouvelles intelligibilités et donc de nouvelles ingénieries, pour dépasser les tropismes scientistes consistant à tenter de réduire le désordre - la variété - la variance - l’instabilité - l’incertitude - la créativité – … mais par contre à augmenter l’ordre - la standardisation - la conformité - la stabilité - la prévisibilité, … L’illusion « normale » de ces approches fait refuser l’atypie phénoménologique fondamentale de l’être humain. Ne peut-on se demander comment une singularité - au sens fort d'unicité, d'incommensurabilité - devient possible et acceptable ? C’est ce que nous avons tenté de réaliser lors de ce travail.

09:17 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (1) | |

12/04/2013

S’interroger sur la formation de nos connaissances : faire retour aux phénomènes et à l’expérience vécue ?

La récente parution de l’ouvrage de Fausto FRAISOPI « La complexité et les phénomènes », par son sous titre « Nouvelles ouvertures entre science et philosophie », conduit à nous (re) interroger sur la formation, la nature et l’usage des connaissances que développent les sciences de la complexité dans nos cultures contemporaines.

S’interroger sur la formation de nos connaissances, ce n’est pas seulement s’exercer « à penser par soi même, c’est aussi penser par les autres », rappelle volontiers le physicien et philosophe des sciences Etienne Klein.

S’interroger sur la nature des connaissances humaines, c’est s’interroger sur leur origine : sont-elles « déjà là », indépendante des actions humaines qui s’attachent à les découvrir ou les dévoiler  pour les uns, à les inventer ou à les construire pour les autres ? Sont-elles des « objets » (les savoirs que l’on empile), ou sont-elles des « processus » (« faire pour comprendre et comprendre pour faire ») ?

S’interroger sur l’usage des connaissances, c’est s’interroger sur la justification de leur légitimité : seront-elles légitimes parce que prédictives, garantissant les résultats de l’action humaine déterminée par la stricte application des lois de la nature que peu à peu elles identifient et transmettent, ou par leur plausibilité pragmatique, éclairant le libre arbitre dans la conception projective des moyens et des actions ?  

Pour « aussi penser par les autres » ces interrogations, nous disposons depuis l’émergence du paradigme de la complexité dans les cultures contemporaines, d’explorations de bons nombres de penseurs nous invitant à un détour - une « pensée du dehors » - qui peut nous permettre de mieux situer ce qui forme notre « dedans », c’est-à-dire nos propres cadres de pensée.

Citons, quelques uns des « grands témoins du vingtième siècle » qui ont éclairés les débats du Réseau Intelligence de la Complexité au fil des dix derniers années : en 2002 : « Autour de H.A. Simon. Intelligence de la complexité, Ingénierie de l'interdisciplinarité »; en 2004, « Autour de Heinz von Foerster Seconde Cybernétique et Complexité » ; en 2008, « Quatre grands témoins du vingtième siècle pour étayer cette réflexion : Gregory Bateson (l’Ecologie de l’Esprit), William James (l’Empirisme radical), James Dewey (le Pragmatisme) et Ernst von Glasersfeld (le Constructivisme» ; en 2009,« Hommage à Edgar Morin : Agir et penser a la fois - Renouveler notre intelligence de la gouvernance des organisations complexes.  Ce détour passe par le partage de nos visions du monde, des modèles sous-jacents à nos interprétations, des concepts pragmatiques (ceux dont on se sert sans forcément savoir les définir). Ceci appelle un travail de partage, d'échange et d'élaboration collective qui – certes - demeure difficile à réaliser mais laisse entrevoir cependant en retour, une meilleure compréhension de nos actions.

Ce que la connaissance doit à l'expérience : de la complexité on fait toujours et d’abord « l’expérience ». Les sciences donnent lieu à un conflit fondamental dans les stratégies d’intelligibilité des phénomènes dans la mesure où, privilégiant une tradition scientifique réductionniste et physicaliste, elles laissent à penser que les aspects de la sensibilité et de l’expérience vécue sont des épiphénomènes relevant d’autres approches insuffisamment crédibles pour faire partie des savoirs « reconnus ». Ce questionnement interpelle les conceptions substantialistes – essentialistes - qui postulent l’existence de réalités objectives préexistantes et permanentes qu’il faudrait dévoiler. Position  du paradigme cartésien qui caractérise pour l’essentiel, les recherches actuelles et qui conduit à de nombreuses contradictions et difficultés – insolvables dans une approche interdisciplinaire syncrétique  - en raison de la multiplication de dualismes fondamentaux comme l’opposition entre processus mentaux et environnement, entre « hardware et software », entre individu et groupe, entre intérieur et extérieur, entre action et cognition, entre nature et culture … oppositions qui mènent à des impasses et qui font l’objet de remises en cause sérieuses dans de nombreuses disciplines. Comme le souligne Bernard Latour[1], « Lorsque nous abandonnons le monde moderne, nous ne tombons pas sur quelqu’un ou sur quelque chose, nous ne tombons pas sur une essence, mais sur un processus, sur un mouvement, un passage, littéralement, une passe, au sens de ce mot dans les jeux de balle. Nous partons d’une existence continuée et risquée – continuée parce qu’elle est risquée – et non pas d’une essence ; nous partons de la mise en présence et non pas de la permanence. Nous partons du vinculum lui-même, du passage, de la relation … »

On peut donc constater – et regretter – un écart persistant entre les sciences de la nature (entendu dans le cadre de la physique classique) et les « sciences » accordant de l’importance aux pratiques « telles que nous en faisons l’expérience ». Cette dualité - qui recouvre pour une part, le traditionnel mais obsolète débat théorie/pratique - contribue à un déficit d’intelligibilité parce qu’en raison de ces positions ontologique et méthodologique, les sciences omettent généralement les données phénoménologiques et pragmatiques, négligeant ainsi un aspect important de la manifestation des phénomènes. L’intérêt pour l’expérience humaine dans ses dimensions les plus immédiates et les plus quotidiennes nous incite à « faire retour aux phénomènes et à l’expérience vécue » pensant que beaucoup d’aspects de l’activité serait mieux compris si l’on faisait le lien entre les processus impliqués dans l’action et leurs manifestations phénoménales, c’est-à-dire pour simplifier, la « façon dont les choses sont et sont faites » du point de vue du sujet agissant (point de vue dit alors, en première personne). Dans son ouvrage, Fausta Fraisopi (p 393) avance ce lien : « la complexité irréductible de certains phénomènes impose la phénoménologie comme méthode d'interrogation de « il y a » - dans toutes ses formes possibles - de chercher une nouvelle forme d'interrogation et de vision capable de comprendre, décrire, assimiler de façon non superficielle le « il y a » de la complexité dans sa forme propre de manifestativité ». Par exemple, la fatigue, la décision, le stress, l’incertitude, … sont évidemment des processus dont on peut rendre compte par des mesures objectives, d’un point de vue externe (dit alors en troisième personne) à l’acteur agissant, mais aussi des processus dont nous avons conscience (ce qui ne signifie pas que nous sommes conscient de la totalité de ces processus) et dans certaines conditions méthodologiques, nous pouvons évoquer les contenus de la conscience que nous avons de cette expérience de fatigue, de décision, de stress, d’incertitude, …

Dans cette volonté d’objectivation du « réel », plusieurs réponses peuvent être examinées 

- Celles qui ne reconnaissent pas les tensions entre les données objectivistes et subjectivistes (c’est–à-dire les données phénoménologiques et pragmatiques) :

- En refusant la pertinence de la tension entre ces deux « réalités ». L’argumentaire se développe alors autour des principes traditionnels de l’approche scientifique en niant la possibilité de travailler « scientifiquement » sur l’expérience vécue du point de vue en première personne (cf. les manuels classiques de la méthodologie de la recherche).

- En refusant l’importance de cette tension comme stratégie d’intelligibilité : la « neutralité » requise du chercheur et la construction des objets scientifiques à partir de cette posture, le place en situation d’extériorité vis-à-vis des données de l’expérience les « écrasant » méthodologiquement, dans les protocoles de recherche (cf. les protocoles « standards » de recherche).

- Celles qui reconnaissent les tensions entre ces pôles en acceptant de discuter du « déficit d’intelligibilité » :

- Une option pessimiste renvoie cependant aux arguments sur le caractère incompatible des « noyaux durs » des paradigmes et/ou des ontologies et l’impossibilité de l’interdisciplinarité : ne travaillant pas sur les mêmes objets et au même niveau, le travail de mise en relation des deux pôles apparait peu possible et ceux-ci continuent à être évoqués « parallèlement ».

- Une option optimiste pense que ce débat peut être résolu en reprenant un débat « ontologique » sur la façon de considérer et de traiter les « choses » (cf. nos remarques sur les dichotomies historiques). C‘est tout le sens de l’ouvrage de Fausto Fraisopi qui « tire au contraire comme conséquence de la révolution de la complexité, la nécessité de rompre avec le cadre de ce que les modernes ont appelé « ontologie » précisément en tant que doctrine de l’objet » (Jocelyn Benoist dans l’introduction de l’ouvrage).

Une relecture de textes anciens nous incite à le faire comme par exemple, Henri Wallon[2] : « Entre lui (l'objet) et l'observateur, il n'y a pas cet intervalle étanche que postule le positivisme et avec lui, toutes les vieilles doctrines pour qui l'univers et l'homme en viennent à se juxtaposer comme deux entités plus ou moins distinctes.... car il n'y a pas d'observation désincarnée de toute action physique, pas plus qu'il n'y a d'intelligence sans organe, ni d'homme sans corps »

La dualité permanente et inéluctable des points de vue n’exprime pas une opposition bipolaire qui de manière irréductible rejette l’un ou l’autre point de vue - comme c’est souvent le cas aujourd’hui dans les recherches - mais elle sous-tend l’hypothèse que d’autres perspectives sont possibles : non celles d’une confusion entre des données objectives et subjectives, mais celles du lien qui caractérise une chose deux fois comprise. Dans une relation de complémentarité, de cogénération, de « co-avènement » des savoirs sur soi et sur le monde, ces deux points de vue peuvent se mêler entre eux pour produire – non une série de déterminations causales – mais une intelligibilité de l’écologie complexe de l’activité.

Il semble alors possible – et nécessaire - d’identifier dans leurs complémentarités autant que dans leurs antagonismes, les pôles que nos cadres d’analyse ont disjoints pour plus de commodité « interne » : la perspective « analytique », attachée au local comme point de départ explicatif des phénomènes, et la perspective « holistique », qui confie à la globalité de l’agi, la source « unifiante » et explicative de ces mêmes phénomènes. Le point de départ n’est pas plus dans les « parties », locales, que dans le « tout », global, mais dans leurs interactions. Plutôt, les parties sont dans le tout, de même que le tout se trouve dans les parties : parties et tout, se spécifient mutuellement et continuellement dans une dynamique de l’action. N’est ce pas ainsi que nous entendons le paradigme Systémique que l’on sclérose en le réduisant trop souvent au Holisme qui ne peut accepter que la partie soit plus qu’une fraction du tout ?

Omettre « l’effet que cela fait d’être » ? Les faits de l’expérience des « choses en train de se faire » comme source de connaissance, aussi ! C’est en effet, une chose que d’essayer de rendre compte de ce qui se passe - à quelque niveau que ce soit - lorsque nous agissons et une autre, que d’essayer de rendre compte de la conscience des choses, que nous avons quand nous agissons. Dans la continuité de la sensibilité à la phénoménalité et au pragmatisme, et pour illustrer la question de « point de vue » que nous jugeons importante dans le cadre de la compréhension de l’action en situation, Thomas Nagel (1974)[3] propose de s’interroger sur « Quel effet cela fait d’être une chauve-souris ? » « Je veux savoir quel effet cela fait à une chauve-souris d'être une chauve-souris. Si j'essaie d'imaginer cela, je suis borné aux ressources de mon propre esprit, et ces ressources sont inadéquates pour cette tâche. Je ne peux non plus l'effectuer en imaginant des additions à ma propre expérience, ou en imaginant des portions de celle-ci qui en seraient graduellement soustraites, ou en imaginant une combinaison quelconque d'additions, de soustractions et de modifications. Se demander quel effet cela fait d'être une chauve­-souris semble nous conduire, par conséquent, à la conclusion suivante : il y a des faits qui ne consistent pas en la vérité de propositions exprimables dans un langage humain. Nous pouvons être contraints de reconnaître l'existence de faits de ce genre sans être capables de les établir ou de les comprendre.  »

Thomas Nagel part donc de l’idée que même si nous connaissons bien le fonctionnement des ultrasons que les chauves-souris utilisent pour se repérer dans l’espace, nous ne pouvons pas pour autant décrire ce que c’est que de vivre dans un monde ultrasonore. L’expérience subjective de l’écholocalisation nous échappe et nous échappera toujours : nous ne savons pas écrit Thomas Nagel, « ce que cela fait d’être une chauve-souris », même si nous sommes capables de décrire le fonctionnement de son système de perception jusque dans ses moindres détails.

Les possibilités de travailler la tension formelle entre l’exigence d’objectivité liée aux sciences naturelles (dites scientifiques pour le sens commun) et la nature irréductiblement subjective des données phénoménologiques existent cependant comme nous venons de l’argumenter : la question des outils permettant de rendre intelligible les données phénoménologiques et pragmatiques en termes suffisamment crédibles et précis est une question centrale que nous devonsaborder en ayant le souci de procédures pour « faire avec » des focales d’observations multi-échelles.

Au delà de la neutralité conventionnelle de l’observateur ? Quelle place pour l'observateur dans le système observé ? Les arguments de la seconde cybernétique « l’homme dans la boucle ». L'approche scientifique traditionnelle s'appuie sur les concepts de la première cybernétique, à savoir que l'intervenant est un observateur extérieur du système étudié et que les « propriétés » de l'observateur ne doivent pas entrer en ligne de compte dans la description des observations. Dans cette première cybernétique, la part belle est donc faite au gouvernement d'un système depuis ce qui lui est extérieur, car on postule que son contrôle repose essentiellement sur le contrôle de ses entrées à partir de ses sorties. A contrario, en incluant l'observateur dans la boucle du système observé, la cybernétique de second ordre[4] prend aussi en compte ce que l'observateur système vivant et connaissant - et non seulement régulateur mécanique - peut exercer de contrôle sur lui-même en se fiant à ce qui lui est propre, c’est-à-dire à sa capacité subjective à induire le sens de l’expérience.

Cette approche de la cybernétique de second ordre - terreau historique de la pensée auto-éco-organisationnelle déployé par le paradigme systémique- permet de s’écarter de la vision statique des phénomènes pour entr’apercevoir l’instabilité des systèmes vivants, conçus alors comme étant « auto - éco - poïétique ». Cette notion prend tout son sens si l’on présente un système qui n’est pas autopoïétique (dit alors allopoïétique). Il est essentiellement hétéronome - non autonome - dans la mesure où ses transformations nécessitent une cause extérieure. Par exemple, un cristal, une pierre, sont perçus commene pouvant pas maintenir par eux-mêmes leur organisation interne tout en « évoluant » dans un contexte lui-même évoluant.  

Si l’on accepte d’étendre ces réflexions aux organisations humaines, il apparait que l’on peut mieux rendre compte de l’organisation d’un système vivant en le considérant comme étant « auto – éco-poïétique » : les sociétés humaines produisent le réseau dynamique  des actions, des objets matériels et sociaux, … qui en retour, les produisent et ainsi de suite. Ce qui nous apparaît, de notre point de vue d’observateur, comme étant « une forme » particulière, avec sa cohérence propre, est le résultat de cette dynamique de couplage entre artefacts, c’est-à-dire entre personnes, outils, et signes. Faut-il alors confondre la carte et le territoire ?

Par exemple, une vague qui se maintient comme telle, ne rend pas explicite l’interdépendance des éléments qui la rendent possible (à savoir la gravitation, le mouvement de la terre, la masse d’eau en jeu, le cycle des saisons, ...). Il n’y a pas d’essence de la vague, mais plutôt l’émergence d’une forme dynamique générée à partir des relations entre les composants du « système vague » et dont la forme est dépendante des possibilités de constructions liées aux propriétés physiques des composants.

Ceci implique que la configuration apparente d'un système n'est pas donnée au préalable et donc non étudiable en soi comme « objet », mais développée par le système téléologique « système finalisant », en tant que moyens pour agir et interagir dans un environnement complexe en cours d'évolution.  

  « Faire retour aux phénomènes et à l’expérience vécue » interroge donc les conceptions traditionnelles de la connaissance : l'approche phénoménologie de la manifestation de la complexité ne met pas seulement en question la complexité des phénomènes mais aussi l'expérience de la complexité que l‘on peut en faire.


[1] Latour, B. (1991). Nous n'avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique. Paris : Editions de la Découverte

[2] Wallon, H. (1935). Le réel et le mental. Journal de psychologie, 5-6

[3] Nagel, T. (1974). « What Is It Like To Be a Bat? », Philosophical Review, 83, 435-450.

[4]Andreewsky, E. & Delorme, R. (2006). Seconde cybernétique et complexité. Rencontres avec Heinz Von Foerster. Paris : L’Harmattan.

11:27 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

05/04/2013

La face cachée des outils de gestion et le pouvoir structurants des outils : La Convention d‘objectif et le Parcours d’Excellence Sportive, outils de management des relations inter organisations et/ou outils de contrôle de gestion des fédérations ?

L’absence de modélisation traitant d’un champ propre au management public sportif dans le cadre original de la gouvernance partagée entre d’une part, l’état/ministère chargé des sports et d’autre part, les fédérations d'associations chargées d'une mission de service public, sur lesquels les managers sportifs pourraient s’appuyer pour donner du sens à leurs actions, conduit l’auteur de cette réflexion à s’interroger sur les conceptions qui sous-tendent l’ingénierie du management sportif. Celui-ci de prime abord et pour les acteurs des Directions Techniques Nationales interrogés, apparait comme étant essentiellement gestionnaire en s’intéressant principalement i) à la production de textes juridiques et réglementaires et ii) à l’efficacité des organisations sportives en tant que moyens pour atteindre les objectifs fixés par la politique publique (cf. le programme sport présenté selon les exigences de la Loi Organique relative aux Lois de Finances). Cette approche gestionnaire semble avoir négligé les questions théoriques sous jacentes à l’ingénierie mise en place pour se focaliser sur des visions économétriques de l’action managériale. Cette résurgence de l’empirisme naïf néglige l’idée qu’il n’y a pas plus d’outils neutres que de faits sans théorie, d’où le titre de cette étude « La face cachée des outils de gestion ». Il s’agit donc de s’interroger sur les modèles et l’ingénierie qui organisent le pilotage du « système sport ».

La face cachée des outils de gestion et le pouvoir structurant des outils comptables : Comprendre l’action collective via les instruments. Des instruments de gestion plus ou moins complexes issus du secteur marchand comme une démarche qualité, une cartographie des processus, un tableau de bord, une méthode de calcul des coûts, une gestion de projet, … sont transposés et mobilisés dans la gestion des organisations. Certes ces outils sont des auxiliaires indispensables à l’action du manager, mais si « les instruments mobilisés dans la gestion constituent un élément décisif de la structuration des situations et de leur évolution, … ils engendrent souvent mécaniquement des choix et des comportements échappant aux prises des volontés des hommes, parfois même à leur conscience ; ils conduisent ainsi les organisations dans des directions voulues parfois par personne et les rendent même rebelles aux efforts de réforme  » (Berry, 1983). Ainsi, à travers un jeu d'indicateurs « simples » liés aux objectifs, on pourrait laisser penser que l’on dispose d’un outil de pilotage stratégique par les nombres, mais les auteurs de ces approches oublient la complexité et l’évolution des « réalités » qu’ils mesurent : le niveau de l’action n’est pas forcément stable et la focale de l’analyse doit être capable de suivre les évolutions du réel.

Les notions d’outil, dispositif, artefact, d’objet intermédiaire, … contribuent à la reformulation d'une problématique ancienne et récurrente qui est celle du statut des objets techniques, de la pragmatique de leur usage et de leur appropriation dans les activités de travail. Les activités coopératives complexes que les objets techniques permettent/supportent, exigent – au delà de leur propre technicité « neutre »  à laquelle on les réduit souvent - la prise en compte et l'interaction des dimensions ergonomiques, cognitives et plus largement anthropologiques et sociales. Pour Lorino 2002  « … comptabilité analytique, tableau de bord, target costing, se muent en acteurs capables de vouloir, décider, imposer, chercher, trouver, choisir, animer à eux seuls la scène de l’entreprise, dans une sorte de théâtre animiste dont les personnages sont des instruments de calcul, des systèmes d’imputation et des tableaux d’indicateurs. ». Les instruments de gestion induisent des automatismes de décision et de comportement ; ceci peut être voulu explicitement, selon l'idée qu'on ne peut débattre de tout à chaque instant. Mais on peut assister à une véritable mécanisation des comportements, les instruments de gestion engendrant des rationalités autonomes, jugées aberrantes de l'extérieur, mais solidement maintenues en place. Cette vision gestionnaire est « instrumentalisée, car elle est marquée par des modes qui, toutes sans exception, sont supposées résoudre tous les problèmes, du « tout contrôle de gestion » au « tout qualité » au « tout tableaux de bord équilibrés, au « tout indicateurs ». Cette instrumentalisation fait fi des présupposés philosophiques et politiques (quelle administration veut-on ?) ainsi que des êtres humains qui la composent (quelles valeurs voulons-nous promouvoir ?) » (Rochet, 2011). En outre, la vigilance des agents sur l'évolution du contexte dans lequel ils sont placés peut être déjouée par les indications fournies par leurs tableaux de bord, chacun cherchant à faire bonne figure au regard des valeurs relevées sur ces indicateurs, fût-ce au prix d'acrobaties plus ou moins clandestines. De fait, les gestionnaires sont rarement en mesure de contrôler l'activité des professionnels pour des raisons de connaissances et de légitimité insuffisantes. Ils décalent donc le contrôle en aval (définition des indicateurs « pertinents ») et en amont (mise en place d'outils de suivi), et finissent malheureusement par avoir une influence sur l'activité elle-même, puisqu'une partie des acteurs en arrivent à travailler pour satisfaire à ces attentes normatives. Ainsi, la méthode retenue par la LOLF pose, dans son principe et dans son application, plusieurs problèmes majeurs « épistémique ». Il s'agit de mesurer l'action d'une organisation - l’état - dont les objectifs sont par nature globaux, de long terme, non principalement économiques et dictés par des choix politiques fondamentaux, qui correspondent à des enjeux sociaux, économiques et culturels dépassant de loin ceux qui sont mis en œuvre dans les différents programmes. D’un point de vue systémique, l'isolement artificiel des actions de l’état dans la définition d’indicateurs indexant des phénomènes sociaux complexes, oublie la synergie, les interactions et coopérations entre l’état et les autres acteurs parties prenantes du programme.

La gouvernance sportive dans un contexte de relations inter-organisation : dép(l)acer les bornes de l’écosystème pour mieux coopérer ? Les organisations ne sont pas des systèmes clos, refermés sur eux-mêmes, mais des systèmes ouverts, souvent sans frontières toujours bien définies. La question des relations entre les organisations et leur environnement s’est complexifiée au fil du temps et a évolué vers l’idée d’une structuration réciproque : les organisations façonnent leur environnement en même temps qu’elles sont façonnées par lui. Pour H.A. Simon (1983), « le problème fondamental de la gestion n’est plus aujourd’hui de savoir « comment produire » une fois la décision prise quant à la nature et à la quantité de biens et services en question. Il s’agit là d’un problème que l’on sait résoudre depuis longtemps et qui est devenu secondaire par rapport à celui qui consiste à organiser le système de prise de décision entre plusieurs niveaux et plusieurs centres, sachant que les performances de l’organisation dépendent de la qualité des liens que l’on saura tisser entre ces différents centres de décision, de la pertinence des objectifs affichés, de l’information transmise et des incitations mises au service de la convergence des comportements ».

Pour Bayle (2010) la nature multidimensionnelle des objectifs des organisations sportives ne peut réduire celles-ci à la seule dimension financière et réglementaire et interroge l’ensemble de la gouvernance sportive impliquant des relations inter-organisationnelles et à minima les deux organisations « ministère chargé des sports » et d’autre part, « les fédérations d'associations chargées d'une mission de service public » (voire le CNOSF, les diverses collectivités territoriales et surement des associations défendant des intérêts catégoriels). Les situations d’interdépendance entre état et fédérations crée une relation de fait entre les deux types d’organisation qui peut être définie comme « un processus dans lequel deux organisations au moins forment au cours du temps des liens puissants et étendus, de types social, économique, de service et technique, dans le but de réduire les coûts et/ou d’augmenter la valeur reçue et ainsi d’en tirer un bénéfice mutuel » (Huault, 2004). Ces formes de relations inter-organisationnelles sont devenues des éléments incontournables de la vie des organisations sportives multi niveaux et conduisent à la construction de technologies et de modes de travail basés sur des flux de données et de relations – des conventions – qui vont au-delà des frontières de chaque organisation, des outils  pour envisager la coordination et la régulation des actions. Ce faisant, il convient de réfléchir la nature des outils utilisés dans les relations entre acteurs.

Les cadres normatifs de la Convention d’Objectif (CO) et du Parcours d’Excellence Sportive (PES). Les conventions d’objectifs reposent sur les bases législatives de l’organisation du sport en France : article L. 100-2 du code du sport. Dans cet esprit, la convention d’objectifs, en règle générale pluriannuelle, est l’outil central du partenariat entre l’Etat et les fédérations sportives. Elle concrétise la volonté d’engagement du ministère chargé des sports et de ses partenaires associatifs pour une participation commune à la mission de service public de développement des activités physiques et sportives. Elle est la traduction opérationnelle et financière d’une politique sportive partenariale fondée sur le dialogue entre deux organisations et contractualisée i.e. fondée sur des engagements réciproques, évalués chaque année. Le Parcours de l’excellence sportive s’insère dans le cadre global de la convention d’objectif, notamment de l’action 2 (Développement du sport de haut niveau : 2.1 Préparation aux compétitions de référence ; 2.2 Filières d’accès au sport de haut niveau ; 2.3 Insertion sociale et professionnelle, aides personnalisées ; 2.4  Suivi de la santé des sportifs inscrits sur les listes de HN ; 2.5  Participation à la mise en œuvre de grands événements sportifs). La hauteur de l’accompagnement par l’état des actions fédérales, moyens humains et financiers mis en place, est déterminée dans ce cadre.

Une position historique de l’état non interrogée. Dans la conception classique de l’économie, le recours à l’intervention de l’état a souvent été perçu comme la solution idéale, pour résoudre la question de l’intérêt collectif - ici plus particulièrement de l’usage de la ressource financière et humaine - face aux intérêts particuliers portés - ici - par les fédérations sportives. Les biens publics sont alors des biens qui par leurs caractéristiques ou leurs effets requièrent l’intervention de l’Etat qui intervient par exception au principe marchand. C’est cette tension entre intérêt individuel et intérêt collectif qui caractérise les situations dites de dilemmes sociaux et qui fonde – aux yeux de certains – la légitimité et la pertinence d’un management public spécifique (article L.131-14 du code du sport traitant de l’organisation du sport en France).Dans le « New Public Management », le contrôle de gestion qui s’inscrit dans la continuité de la comptabilité analytique, est le processus par lequel les responsables s’assurent que les ressources obtenues sont utilisées avec efficacité par rapport aux objectifs, et efficience par rapport aux moyens employés, pour réaliser les objectifs de l’organisation. Idéalement et dans une conception mécaniciste (que nous discuterons dans la suite) le contrôle de gestion se définit comme la mesure de la performance d’une organisation : il a pour fonction essentielle de mesurer les écarts entre les objectifs prévus et les objectifs réalisés en vue d’apporter des mesures correctives. Apparait alors une approche qui privilégie la dimension « macro » de la politique publique, les enjeux de gouvernance et les aspects sociopolitiques (cf. les débats sur la gouvernance sportive suite aux Jeux Olympiques 2012 – Institut Montaigne - Terra Nova, …), basée sur une figure conceptuelle traditionnelle de la pensée économique et administrative qu’il convient de réfuter : « l’agent représentatif » (Kirman, 1992). Partant du constat selon lequel l’atteinte d’objectifs complexes, multidimensionnels nécessite un renouvellement des systèmes de mesure des performances, la « quantophrénie » actuelle (tendance à utiliser de façon excessive les données numériques et chiffrées dans l’approche des phénomènes sociaux) transforme le travail sur les objets à quantifier en une recherche de virtuosité méthodologique stérile et vide de sens (cf. par exemple, le découpage des indicateurs de performance en de nombreux items et sous-items … qu’il faudra cependant agréger par la suite !) s’appuyant sur une présentation pour le moins naïve de catégories supposées discriminantes et de succession de chiffres sensés les documenter. La cour des comptes elle-même, en 2011 p 104 dénonce cette orientation. Cette logique procède de ce que Claude Rochet appelle « l’institutionnalisme naïf », i.e. le changement des institutions formelles par en haut, par une approche purement juridique/réglementaire qui nie toute dynamique des acteurs au niveau des territoires d’où émergent les institutions informelles. De nombreux auteurs et en particulier Elinor Ostrom (1990) (re)lance les débats sur la gestion collective des biens d’intérêt commun ouvrant la possibilité d’une « troisième voie » fondée sur les capacités d’auto-organisation et d’auto-gouvernance des collectifs. Et ainsi Philippe Bana (2012) de s’interroger « Pourquoi les fédérations n’auraient elle pas la possibilité d’avoir plus de missions, d’avoir plus de responsabilités, de bénéficier d’une confiance de l’Etat supérieure à ce qu’elle est ? On voit aujourd’hui l’aspect tatillon, lourd des vérifications de subventions par l’Etat alors que les marges de changement de subvention sont toutes à 1% près ; tout çà pour çà ! On pourrait demain clairement donner plus de responsabilités aux fédérations en contrepartie de garanties sur leurs projets, leurs résultats et leur gouvernance  »

Des changements possibles ? : Un exemple, le Parcours d’Excellence Sportive. Une bifurcation dans l’histoire des dispositifs et outils de pilotage. Longtemps, la détection des jeunes talents et l’entrée dans les structures spécialisées ont fait l’objet de tests de différentes natures qui se voulaient prédictifs d’une réussite future au sein des « filières d’accès au sport de haut niveau ». Ce dispositif s’est appuyé sur les hypothèses scientifiques de la détection et de la sélection des sportifs. Malgré la qualité et la quantité des études produites, les résultats de cette démarche normative n’ont pas été à la hauteur des espérances initiales. Pour de nombreux entraineurs expérimentés, leur jugement syncrétique leur apparait plus signifiant que les données statistiques issues de ce testing analytique.Face à ces limites une seconde perspective s’est progressivement dégagée. Il ne s’agit pas tant pour les entraineurs de déterminer les qualités de base pour atteindre un haut niveau d’expertise, mais plutôt de comprendre l’émergence de l’excellence en s’appuyant sur l’idée selon laquelle, les qualités nécessaires pour parvenir à un haut niveau de compétence dans un domaine s’acquièrent progressivement et dépendent de la qualité de l’environnement de la pratique dite « délibérée ».  

Cette transformation s’est accompagnée de la proposition d’un nouvel environnement organisationnel – « les parcours d’excellence  sportive » - et de nouvelles pratiques plus atypiques d’accompagnement des athlètes.  « Les évolutions successives de nos dispositifs ont conduit à une logique essentiellement tournée vers les structures, la modélisation, et le contrôle pour justifier l’attribution de moyens. La logique de la réforme proposée doit aller dans le sens de la responsabilisation, la confiance accordée aux acteurs, et en particulier les DTN, les spécificités des sports et des disciplines, la souplesse de dispositifs ouverts, mais maîtrisés, et la réactivité pour mieux servir les ambitions de la France dans le paysage de concurrence internationale dont le sport fait partie intégrante. Un resserrement sur l’élite de chaque fédération et l’accompagnement de collectifs mieux maîtrisés seront également recherchés pour éviter la dispersion des actions et des moyens ». (Extrait d’entretien avec un membre de l’ex Préparation Olympique et Paralympique). La volonté de passer d’une politique de moyens, de contrôle et de structures, à une stratégie de performance et d’objectifs caractérisée par le pilotage, l’adaptabilité, la réactivité et la confiance nécessite d’affronter la controverse évoquée ci-dessus « détection des talents » vs « accompagnement des potentiels » et de tirer les leçons des expériences, des réussites et échecs des dispositifs précédents et des conceptions qui les animaient.

Un questionnement sur « la valeur » des biens sportifs de « propriété commune » : l’économie des singularités. Le contrôle de gestion - et par suite le dialogue de gestion i.e. le processus d’échanges entre un niveau administratif et les niveaux qui lui sont liés - est un dispositif conduisant à assurer le pilotage d’une organisation, en apportant la connaissance des coûts, des activités et des résultats permettant d’améliorer le rapport entre les moyens engagés et les résultats obtenus. Dans ce raisonnement, la valeur des choses est alors importante à considérer. Quelle est la valeur d’un oiseau chanteur (Funtowicz & Ravetz, 1994) ? Est-ce que la détermination de sa valeur (en un seul numéraire i.e. monnaie) doit être la seule information dans le débat sur les choix à effectuer? Comment évaluer par rapport aux questions posées par le problème (i.e. enjeux systémique). Cette question peut apparaitre saugrenue mais évaluer quelque chose qui échappe aux valeurs commerciales ordinairement connues, pousse à réfléchir à la fois nos raisonnements économiques et les modèles qui sous-tendent la production des connaissances en ce domaine. Les fameux « modèles » économiques dont les catégories ne rayonnent pas de clarté et d’évidence, traduisent souvent la prééminence d’une grille de lecture comptable et conduisent à s’interroger sur les fondements même de la « gestion » qui peut en découler. Mais au-delà de cette vision, quelle est la valeur d’une fédération sportive ? Quelle est la valeur du travail des milliers de bénévoles des clubs qui font le sport français ? Quelle est la valeur de ces collectifs organisés ? Évaluer la valeur d’un oiseau chanteur résume ainsi les questions que l’on peut se poser pour utiliser les sciences économiques et de gestion en tant qu’outils conduisant/accompagnant des prises de décision efficace et durable pour l'action/projet. Les théoriciens classiques en économie rapportent la valeur des biens à la quantité de travail nécessaire à leur production. La révolution néoclassique a remplacé cette hypothèse par l’idée que c’est l’utilité des biens qui fonde leur valeur. Ces deux conceptions, selon André Orléan (2012), doivent être mises à distance car au delà de leur différence, classiques et néoclassiques partagent encore l’idée essentielle d’une substance de la valeur (le travail pour les uns, l’utilité pour les autres) que les biens posséderaient en propre : « contrairement à ce qu’affirme le paradigme substantialiste, les valeurs ne sont pas une propriété intrinsèque des biens sur laquelle reposent les échanges : elles ne préexistent pas à ces échanges mais sont créées par eux ».

Cependant, si la théorie économique classique fait du prix la commune mesure de tous les produits est-elle d’un quelconque secours quand nous devons choisir un bon restaurant, un bon avocat, le meilleur athlète ou encore le meilleur entraineur pour un sportif ? Dans la réponse négative que donne Lucien Karpik (2007) à cette question en apparence triviale, réside l’ambition de l’économie des singularités qui est de proposer un cadre théorique capable de rendre compte de toutes les transactions portant sur des biens multidimensionnels et de qualité incertaine que Karpik appelle les biens singuliers. Une des propositions de départ de cette modélisation est que, pour ces biens spécifiques et à la différence des biens standards, la concurrence par les prix est moins déterminante qu’une concurrence par la qualité. Les singularités sont des biens et services multidimensionnels et indivisibles, incomparables en ce sens qu’ils ne peuvent pas être mis en rapport les uns avec les autres à travers des grandeurs communes (cf. par exemple le recrutement d’entraineurs – d’athlètes étrangers sur des critères singuliers). Leur prix n’est pas un vecteur de choix, il agit certes comme une contrainte financière mais ne constitue pas nécessairement un signal marchand de la qualité.

Et la question de la valorisation des externalités ? A cette interrogation sur la valeur des biens multidimensionnels et de qualité incertaine, s’ajoute la question de la valeur monétaire des activités dans le secteur marchand et non marchand associatif. Dans les activités associatives, les multiples interactions humaines liées au  travail, ne sont que très imparfaitement comprises par l’état actuel de la conception marchande des activités : à la frontière de la sphère marchande et de la sphère non marchande s’opèrent des passages d’une sphère à l’autre qui ne sont pas automatiquement compensés financièrement. Ceci caractérise les « externalités ». Le concept d'externalité correspond à une situation où : « une personne A, alors qu'elle est en train de rendre un certain service, contre paiement, à une autre personne B affecte incidemment, en bien ou en mal, d'autres personnes (non productrices de services similaires), et cela de telle manière qu'un paiement ne puisse être imposé à ceux qui en bénéficient, ni une compensation prélevée au profit de ceux qui en souffrent ». Une illustration est l'exemple des incendies de forêt provoqués par les locomotives à vapeur. Le passage des trains est profitable aux voyageurs et aux compagnies, mais les escarbilles peuvent mettre le feu aux parcelles boisées le long des lignes et entraîner ainsi un sinistre préjudiciable aux propriétaires forestiers, acteurs qui ne participent pas à l'échange du service ferroviaire. Les externalités positives sont d’un grand intérêt pour expliquer ce que les économistes appellent le « surplus de productivité globale », c’est-à-dire ce que l’on ne peut pas expliquer par la contribution du travail, ni par celle des investissements, ni par les progrès de la technique.  Il est fait la distinction entre i) les « coûts privés » i.e. les paiements faits par le producteur pour la réalisation des produits et, de même, par le consommateur pour obtenir des biens de consommation ; ii) les « coûts sociaux » i.e. les coûts d’opportunité associés à une activité de production ou consommation qui ne sont pas « pris en charge »  par le producteur/consommateur lui-même. L’économiste parle dans ce dernier cas de « coût externe » (et aussi de « bénéfice externe ») ou d’externalité. La démarcation entres coûts « privés » et coûts « sociaux » est essentiellement déterminée par la société. Une externalité est donc une sorte de bonus (ou malus) auquel l’agent économique bénéficiaire n’a pas contribué. Ce concept traduit concrètement l’interdépendance des différents acteurs économiques ou non. Citons par exemple, des externalités positives de la pratique sportive concernant la santé, la cohésion sociale, la réputation, l’aménagement du territoire, et des externalités négatives comme le hooliganisme, les nuisances et la détérioration de l'environnement.

La gestion des externalités devient alors un enjeu stratégique majeur pour toute organisation en réseau. Dans ce questionnent sur « la valeur » des biens sportifs de « propriété commune », on peut s’interroger sur la façon dont l’état et le mouvement sportif considèrent et peuvent intégrer dans leurs indicateurs économiques et le calcul de leur équilibre économique, des externalités jusqu'ici jamais comptabilisées, mais qui les affectent pourtant d’une façon ou d’une autre.  Ce que Moulier Boutang (2008) appelle le « capitalisme cognitif » - qui n'est pas une extension du capitalisme industriel de la connaissance « substance » – mais qui concerne le capital intellectuel et humain, les interactions sociales informelles, la partie implicite et contextuelle des connaissances en acte, l’expérience (cf. la valeur des compétences nécessaires pour les JO) qui représente une accumulation singulière de l'expérience et devient l'un des principaux vecteurs de création de valeur. Si le tout s’avère alors plus grand que la somme des parties c’est parce que l’activité sportive associative incorpore de nombreuses externalités positives. L’état, les fédérations doivent-ils prendre en compte dans une vision économique « durable » des fédérations, l'utilité sociale du sport ?

Le passage du « national » (la convention d’objectif) au « local » (le Parcours d’Excellence Sportive) : la question de l'intégration multi-échelles/multi-niveaux traverse l'ensemble des process. Alors que traditionnellement la discussion s’est longtemps focalisée sur le dilemme « gestion étatique versus privatisation »,  la réémergence du niveau territorial et la redécouverte des modes locaux de gestion des ressources amènent à élargir le cadre de réflexion. On peut légitimement s’interroger sur la possibilité du transfert du cadre d’analyse de la gouvernance globale des biens de « propriétés communes », à des questions plus locales. Et inversement, l’analyse de situations locales peut-elle se passer d’une compréhension des politiques impulsées à l’échelle nationale, européenne voire internationale Comment tenir compte de l’emboîtement des échelles dans la gouvernance des « commons » ? L’idée d’échelles ou de niveaux permet envisager à la fois : i) les hiérarchies de types institutionnelle, administrative et/ou politique où la décision publique s'applique selon une démarche descendante depuis les politiques nationales jusqu'aux unités administratives des communautés territoriales ; ii) mais aussi des processus plus ouverts, des émergences successives apparaissant au niveau des strates locales, dans lesquelles s'organisent des décisions/actions individuelles et/ou collectives nécessitant des processus de coordination d’une part, des échelons d’initiatives et de responsabilités et d’autre part, des activités multiacteurs (sous forme de partenariats par exemple). On distingue classiquement deux approches suivant le niveau que l'on choisit pour appréhender et expliquer un phénomène donné : i) d'un côté, le niveau micro qui désigne le niveau où s'engagent les actions et qui fait en général, référence à l'individu ou à une organisation bien identifiée ; ii) de l'autre, le niveau macro, niveau auquel on appréhende les phénomènes dans leur globalité et qui fait en général, référence au système – ici, sportif.

Dans la compréhension de la gouvernance où un phénomène particulier observé à un certain niveau peut être expliqué par des processus opérant à d'autres niveaux d'observation, la boucle – récursive - qui lie ces deux niveaux est d'un intérêt fondamental pour transcender l'opposition individuel/collectif, en appréhender les deux conjointement : i) tant dans le sens bottom-up, où l'on s'intéresse aux macrostructures produites par l'ensemble des actions des individus que ii) dans le sens top-down, où l'accent est mis sur l'influence des macrostructures sur les comportements individuels. Cette dimension nécessite d’être attentif aux écosystèmes dans toute leur complexité et d’intégrer d’emblée la structure feuilletée, multi-échelle du social et sa complexité au travers des notions d’arènes d’action et de systèmes polycentriques, d’émergence, de feedback.

Affronter l’incertitude et la complexité : la fin d’un cycle managérial ? La gouvernance sportive a été conçue depuis 50 ans comme un dispositif pyramidal et hiérarchique, qui définit depuis le « haut » un cadrage précis ainsi que des modes de passage à l’action, même si la pratique contextuelle l’a heureusement bousculé depuis longtemps : « cette structure omniprésente est peut-être nécessaire, mais c’est contre cette logique que les choses se passent ! » (Extrait d’un entretien avec un DTN). Parce qu’ils ont été très efficients, nous sommes en train de recycler les modèles de management et de gouvernance construits à partir de l’échec aux Jeux Olympiques de Rome en 1960, en tentant de pousser leur efficacité au maximum et aux yeux des acteurs, leur management connaît une bureaucratisation croissante. Dans un contexte de profonds changements institutionnels - concernant en particulier le mouvement de déconcentration/décentralisation - provoquant la multiplication des intervenants (au plan national et international, territorial, local, public, privé, …), on assiste à une double complexification des procédures de conception et de mise en œuvre des projets : - i) pour garder un contrôle sur des actions de plus en plus complexes et sur l’utilisation de leurs financements, l’institution  multiplie les outils et les procédures, tant en amont (cadre « logique », définition d’objectifs précis, programmation ex ante) qu’en cours de projet (programmes d’activités annuels et/ou pluri annuels, règles strictes de suivi comptable, etc.). Ceci réduit la nécessaire souplesse nécessaire à l’action en contextes locaux variés, dynamiques et incertains, et impose sa propre rigidité à l’ensemble des acteurs parties prenantes ; - ii) les modes d’organisation des projets sont conçus au profit de logiques du « faire faire » i.e. impliquant le statut implicite et/ou explicite « d’opérateurs » dans une gouvernance qui se veut « partagée », ce qui induit une complexification forte des montages institutionnels, avec de multiples partenaires à coordonner, de nouvelles procédures contractuelles et de nouvelles incertitudes institutionnelles (cf. les avatars du statut des CTS dans les fédérations, par exemple).

Le paradoxe est que ce double renforcement des procédures s’applique à des projets de plus en plus « pluri-acteurs » comportant de nombreux enjeux politiques, économiques et sociétaux dans les arènes locales et qui ne peuvent être mis en œuvre que s’ils suscitent l’adhésion des acteurs concernés et que s’ils arrivent à négocier des soutiens politiques locaux. La prise en compte de l’incertitude inhérente à l’activité projet et à la multiplicité des parties prenantes amène à mettre en question les processus normalisés au profit de processus de construction d’une action collective et collaborative. Les conceptions institutionnelles actuelles  appuyées sur l’idée d’un modèle causal linéaire, qui fait un lien direct entre des actions et des impacts, est remis en cause de longue date dans les sciences sociales et dans les analyses de l’action publique. Il est sans doute temps de réfléchir à la capacité de cette politique à s’interroger et que se construisent et se reconnaissent « chemin faisant » de nouvelles pratiques managériales pour anticiper et affronter les réalités émergentes.

cf. Rapport d'étude ci-contre et groupe de discussion

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15:09 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

03/04/2013

Le sport, ordres – désordres. A propos de ma participation le 4 avril à l’émission « R » du sport de l’Insep

1. Du désordre, on fait d’abord et avant tout l’expérience. Plutôt qu’une définition formelle des notions d’ordre et de désordre, essayons de partager un constat traitant « de ce que les choses sont » du point de vue du sujet agissant.

Le paradoxe est le suivant. Bien que les événements compétitifs soient longuement préparés et soigneusement planifiés, ils sont partiellement imprévisibles à la fois, quant à leur déroulement et leur résultat. Certes, les managers, les entraineurs et les athlètes font beaucoup d’efforts pour planifier l’entrainement, pour coordonner les actions, pour prévoir leurs comportements, pour que les rendez-vous aient lieu, pour que les compétitions soient réussies, ... D’un certain coté, les activités des entraîneurs et des athlètes sont donc pour une part, des actions ordonnées, contraintes, identifiables dans leurs contextes par rapport à des buts qui sont imposés par les procédures & techniques sportives mais d’un autre coté, on observe que ces activités sont aussi pour une large part imprévues, autodéterminées et au final auto-organisées c'est-à-dire « bricolées en temps réel ».

Des décisions parfois lourdes de conséquences sont prises pour des raisons très contingentes : un environnement qui évolue, des événements inattendus qui ont lieu (blessure), des changements qui émergent de processus apparemment routiniers … C'est la question de la norme, des règles pour l'activité et de la renormalisation en actes et en situation qui est ici, posée. Dans ce processus bien documenté de « renormalisation en acte », les règles sont renégociées régulièrement, les rôles redéfinis, les choix réexaminés, … Les acteurs sont contraints de prendre en compte des événements imprévus, des temporalités étendues et multiples, des causalités hétérogènes, des phénomènes de singularité, de désordre, de paradoxe contre lesquels les sciences du sport se sont en grande partie construites.

Une première remarque est que cet « ordre » n’est pas l’expression de déterminations issues de lois mathématiques extérieures aux acteurs - mais bien en grande partie le fruit de leur activité permanente, de leurs interactions et coordinations en acte et de (re)mise en ordre continuelle.

Une seconde remarque est que faute de donner à l’imprévisibilité un statut précis dans l’analyse, les chercheurs ont pris l’habitude de raisonner comme si cela n’existait pas renvoyant la manifestation du « désordre » à l’erreur, aux risques, à l’incompétence, voire à la morale en évoquant la transgression à la norme.

Il s’agit donc de donner une place à l’imprévisibilité dans la compréhension de nos actions quotidiennes et à échapper ainsi à un schéma binaire dans lequel les situations sont vues soit : i) comme totalement déterminées, prévisibles et susceptibles alors de relever de prescriptions de différentes natures pour les contrôler - ii) comme totalement imprévisibles, arbitraires et sur lesquelles les entraineurs - managers n’auraient aucune prise.

2. Les cadres théoriques du raisonnement des sciences du sport en sport de haut niveau sont aveugles à de tels phénomènes et n’offrent guère d’outils pour traiter cette dimension. Si l’on prend au sérieux le constat précédent, nous sommes conduits à constater un « déficit d’explication » dans l’approche des phénomènes de l’entraînement.

Pourquoi ? Faute d'interrogations sur leurs outils théoriques, les chercheurs sur le sport de performance considèrent très majoritairement que les situations qu'ils analysent sont stables, prévisibles, structurellement « ordonnées », « déjà là »...

Dans la conception déterministe qui les organise, tout le futur est entièrement contenu, déterminé par le présent : connaissant les lois du mouvement et les conditions initiales, ils déterminent avec certitude le mouvement futur pour un avenir aussi lointain que nous le souhaitons. L’exemple illustrant ceci renvoie à nos souvenirs mathématiques du collège : si un train roule à 50 km par heure combien aura-t-il parcouru au bout de 2 heures – 5 heures – 100 heures ? Ce qui signifie qu'en ayant une connaissance de tous les éléments constitutifs et de toutes les relations existantes dans un système, il serait possible de prévoir l’évolution de ce dernier.

La conscience de l'oubli de l’écosystème d’action nous ramène vite à l’aspect artificiel de ce type de raisonnement linéaire et normatif évacuant les singularités. Recherchant surtout des causalités et des régularités, ces approches ne disposent pas de concepts permettant de donner du sens à des situations d'instabilité, d’ambiguïté, de contingence, de bifurcations, de points de basculement, … alors que les praticiens se trouvent confrontés en permanence à ces phénomènes. 

Notre histoire scientifique et les changements sociétaux nous conduisent dans un monde où il faut acter la fin des certitudes, de la complétude, de l'exhaustivité, de l'omniscience pour envisager une transformation inéluctable de la façon de construire nos connaissances.

dd.jpg3. Comment penser le désordre et l’ordre ? Le préfixe « des » tend à indiquer une séparation nette entre ordre et désordre et le terme de « désordre » est sous le signe de la privation, de la négation : le désordre s'annonce avant tout comme une absence d'ordre. Mais ces deux phénomènes sont irrémédiablement liés : le désordre n'est pas une absence d'ordre et dans une vision dynamique - historique, ils ne sont pas concevables l’un sans l’autre car ils se coproduisent l’un l’autre dans une tension continuelle.  Expliquons ceci en nous appuyant – ici - essentiellement sur les notions « d’auto-organisation et de criticalité » :

L’auto organisation est un processus d’organisation émergeant – non prévue à l’avance - et résultant de l’interaction de chacun de ses éléments. La métaphore du vol d’étourneaux explique bien qu’un « ordre global » peut être produit sans qu’il n’y ait ni leader, ni centre organisateur, ni programmation au niveau individuel du projet global dans sa forme finale et évolutive.

Ce qui caractérise les systèmes auto organisés c’est l’émergence et le maintien d’un ordre global sans qu’il y ait un chef d’orchestre mais des interactions entre ces membres (d’où l’importance de reconsidérer la notion de réseau) : il n’y a pas de principe d’ordre supérieur mais comme le propose Henri Atlan (Entre le cristal et la fumée) un principe « d’ordre par le bruit » que Heinz von Foerster avait proposé dans son article : « On Self-Organizing Systems and their Environments »

La théorie de l’auto-organisation et la « criticalité » expliquent que certains systèmes, composés d’un nombre d’éléments en interaction dynamique, évoluent vers un état critique, sans intervention extérieure et sans paramètre de contrôle. L’amplification d’une petite fluctuation interne peut mener à un état critique et provoquer une réaction en chaîne menant à un changement de comportement du système.

Un modèle simple illustre ce phénomène : le tas de sable. L’expérience de Peter Bak consiste à ajouter régulièrement des grains à un tas de sable. Petit à petit le sable forme un tas dont la pente, en augmentant lentement, amène le tas de sable vers un état critique. L’ajout d’un grain peut alors provoquer une avalanche de toute taille, ce qui signifie qu’une petite perturbation interne n’implique pas forcément de petits effets : dans un système non linéaire, une petite cause peut avoir une grande portée. Les avalanches connaissent donc différentes amplitudes qui sont toutes générées par une même perturbation initiale (un grain de sable supplémentaire).

L’état critique auto organisé d’un système est donc un état ou le système est globalement métastable tout en étant localement instable. Cette instabilité locale (de petites avalanches dans le modèle du tas de sable) peut générer une instabilité globale plus ou moins forte qui ramène ensuite le système vers un nouvel état métastable (l’importance des avalanches de sable est inversement liée à leur fréquence. Il y a peu d’avalanches de grandes tailles et beaucoup de petites).

On peut considérer que certaines situations sportives sont dans un état métastable et métaphoriquement, on peut se demander avec l’accumulation des charges, quel « grain de sable » perturbera le système et conduira à sa réorganisation. Ce qui est intéressant - ici - c’est que le raisonnement quantitatif rejoint les aspects qualitatifs : plus de … a des impacts sur l’organisation du système.

4. Et si on se formait au « désordre » ?

Toute organisation est guettée par l’usure entropique, absorbe de moins en moins aisément les chocs imprévus et ne trouve plus de réponse aux « bruits » qui l’assaillent. Or vivre, c’est défier l’entropie. Autrement dit, un système survit non par la simple mécanique répétitive d’un ordre préconçu, mais par la faculté de se réorganiser « en conscience ». C’est bien sur cette voie que ce blog veut entrainer ses lecteurs

 

13:32 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

14/01/2013

Modèles de la connaissance et management

La parution de l’ouvrage « La révolution de l'intelligence du corps » de Rolf Pfeifer & Alex Pitti (cf. la note de lecture ci contre) m’incite à relancer la discussion sur les modèles de la connaissance rendant compte de l’activité humaine : cf. Séminaire 2 : Le manager créateur de son monde propre ; Du « bricolage » organisationnel ? ; cf. Séminaire 4 : Manager dans la contingence au sein d'un collectif hétérogène ? Les théories standards ont généralement considéré la connaissance comme « réduite à de l’information » : les réflexions et positionnements sur le statut de la connaissance dans les organisations collectives et sur l’épistémologie de l‘action managériale sont d’autant plus importantes que l’évolution du management actuel impose à mes yeux, une prise de distance avec les modèles implicites de connaissance qui (dés)organisent les formations académiques (cf. les postulats organisateurs de cette formation indisciplinée au management dans les organisations sportives). En effet, en assimilant l’esprit humain à la machine de Turing, i.e. à un système informatique dont les compétences computationnelles signifient l’intelligence humaine (pour en juger, on peut effectuer une simulation de la machine de Turing sur le site : http://www.turing.org.uk/turing/scrapbook/tmjava.html), les sciences « classiques » de la connaissance ont réalisé le tour de force de parvenir à une conception de la cognition qui la rend indépendante des conditions biologiques, historiques et sociales de sa réalisation en tant qu’action intégrée et finalisée dans un environnement naturel. Agir et coopérer dans des environnements complexes interrogent alors la vision classique de la connaissance comme « substance échangeable » entre un émetteur et un récepteur « passif ». Dans les études « métiers » concernant les  Directeurs Techniques Nationaux et les Entraineurs Nationaux, chefs de projet performance, la connaissance organisationnelle est considérée d’abord, et avant tout, comme une pratique s’actualisant au sein de communautés dans des espaces - temps tramés d’interactions entre humains et médiées par des artefacts.

La focalisation sur l’action « pratique » conduit à ce que « Nous comprenons d’autant mieux les vivants que nous inventons et construisons des machines ». Cette remarque de P. Valéry (Cahiers XIII, 617) introduit bien la nature du questionnement de cet ouvrage pour qui « le comportement de tout système n'est pas simplement le résultat d'une structure de contrôle interne comme le système nerveux central ... (il) est également affecté par la niche écologique dans laquelle le système est physiquement intégré, par sa morphologie (la forme de son corps et des membres, ainsi que le type et l'emplacement des capteurs et des effecteurs), et par les propriétés du matériau des éléments composant la morphologie ». Les auteurs argumentent alors dans cet ouvrage à l‘aide de multiples et judicieux exemples, un paradigme alternatif traitant de l’esprit prolongé (extended mind) et de la cognition encorporée (embodied cognition) pour penser la relation circulaire action - cognition et rejoignent Francisco Varela lorsqu’il affirme que « Le cerveau n'est pas un ordinateur : on ne peut comprendre la cognition si l'on s'abstrait de son incarnation  ». L’argumentation est qu’il n'existe nulle part dans le cerveau ni dans l'organisation collective sous la forme d'un état-major décisionnel – un esprit dans la machine - siégeant au sommet du système et prenant à partir d'un « tableau de bord » et de logiciels d'aide à la décision les meilleures options possibles. Les décisions, petites ou grandes sont couplées à des états cognitivo-émotionnels (peur, plaisir, doute, défi, …) qui ne s'expriment pas sous forme de choix intellectuels mûrement délibérés mais d'actions engagées souvent dans l'urgence de l’interaction et de la contingence du faire. Il convient alors de ne pas considérer les managers comme seulement de « purs analystes » mais comme des personnes ayant des sensibilités, des émotions, des valeurs qui orientent leurs choix d’actions.

Nous rejoignons ainsi tout un courant « multi, pluri, inter, ... » disciplinaire qui s’interroge sur les rapports entre pensée et action dans des environnements « naturels ». L’approche prédominante de la recherche contemporaine s’est progressivement constituée et organisée en disciplines,  spécialités, sous spécialités, thématiques, ... de plus en plus nombreuses, chacune s’intéressant à des objets qui lui sont propres, s’appuyant sur des paradigmes qui lui sont spécifiques, et surtout développant une instrumentation, c’est-à-dire des techniques, des procédures et des protocoles d’investigation, qui lui est particulière. Cependant, de nombreux phénomènes, de nombreuses questions de recherche et/ou pragmatiques, dépassent largement le cadre strict de telle ou telle spécialité. La « multi, pluri, inter, ... » disciplinarité a précisément été envisagée par les chercheurs en complexité, pour corriger la fragmentation de la recherche, et rendre possible l’étude des phénomènes dans leur globalité. L’enjeu est alors de produire un regard neuf sur les questions du management dans les environnements dynamiques.

 

13:51 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

09/11/2012

Vers une intelligence stratégique ? Les Jeux Olympiques et Paralympiques 2012 vus en complexité

Un retour réflexif sur les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) 2012 : Pourquoi finalement ? Quelles sont les questions posées ? Le déroulement des Jeux Olympiques synthétise un ensemble i) de savoirs expérientiels, de solutions originales et locales, d’expériences collectives et individuelles singulières, … et ceci nourrit l’imaginaire et la symbolique sportive. Ces « trouvailles » en contexte d’action sont difficilement accessibles et explicitables, peu analysées et rarement confrontées entre les différents acteurs. Finalement cet ensemble de savoirs et d’expériences, porté par les hommes et les femmes, s’épuise dans l’événement et est peu utilisé pour préparer les entraîneurs débutants et les athlètes aux nouvelles échéances olympiques ; ii) de compétences très diversifiées reposant sur des connaissances distribuées, partagées entre les différents acteurs parties prenantes de la performance olympique. Cette intelligence collective émerge - ou non - au gré des dynamiques et des circonstances locales. L’instabilité des équipes à moyen terme conduit cependant, à une dissolution de savoirs collectifs et organisationnels et finalement à la transmission de savoirs « ponctuels », « décontextualisés », ne reposant souvent que sur la survalorisation des capacités individuelles de tel ou tel sportif ou de tel ou tel entraîneur, occultant ainsi le contexte de la performance. De plus, le départ des entraîneurs expérimentés et de nombreux Directeurs Techniques Nationaux observé à chaque nouvelle Préparation Olympique, conduit à des pertes de savoir-faire dans des domaines où l’expertise reposant sur les acquis de l’expérience et la pratique réfléchie, est difficile à transmettre.

Cet entretien de l’Insep cherche donc à provoquer un retour réflexif et distancié  http://www.insep.fr/SiteCollectionDocuments/programmeEI2012_BD.pdf  sur les Jeux Olympiques et Paralympiques de Londres 2012 et, en s’appuyant sur l’expérience singulière de chacun, à manifester les résultats - plus largement les « données » autour de ces résultats - et les savoirs utiles à la compréhension des performances et à l’appréhension du phénomène olympique dans toute sa complexité. En regard de l’importance de l’événement olympique, ce document répond aux besoins d’information d’un large éventail de lecteurs : i) des décideurs soucieux de tirer des enseignements stratégiques pour la prochaine olympiade ; ii) des formateurs dans leur souci d’exploiter les expériences passées pour former à un avenir toujours incertain ; iii) l’opinion publique désireuse de savoir dans quelle mesure le système sportif français réussit à former des athlètes compétitifs au plus haut niveau. La réflexion sur les résultats des équipes de France ne présente un intérêt qu’à partir du moment où elle est nourrie de différents points de vue et partagée entre les différentes parties prenantes concernées : les athlètes, les entraineurs et directeurs d’équipe, les Directeurs Techniques Nationaux, la Direction des Sports, le Comité National Olympique et Sportif Français et l’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance. C’est bien l’objet de ces entretiens que de susciter les échanges d’expérience et ce, en accordant du crédit aux points de vue des différentes parties prenantes. Outre la communication de données synthétisées à l’ensemble des acteurs olympiques, les bénéfices attendus de ces réflexions concernent i) une vision réaliste et différenciée du rang de la France dans le concert des nations ii) la compréhension des réussites sportives toujours singulières ; iii) une mise en perspective du pilotage stratégique des projets olympiques pour 2016.

Acquérir de l’information sur les résultats des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) 2012 : faute de données, le débat est impossible. Qu’est ce qui s’est passé ? Qui a obtenu des médailles ? D’où cela vient-il ? Pourquoi en est on arrivé ce point ? Dans quel environnement ? Qui fait quoi dans cet environnement ? Qui échange avec qui et quoi ? Qui détient la connaissance/expérience ? Comment s'organise les flux d'information ?  Quels projets ? Quelles stratégies ? Quelles continuités, quelles bifurcations, quelles ruptures par rapport au projet initial ? Comment s’effectuent les relations entre les parties prenantes ? ... A un autre niveau d’interrogation : quelles philosophies, quelles conceptions de la performance sous-tend les choix d’organisation ? Les nombreuses questions que l’on peut se poser - tant au niveau micro (la performance individuelle) qu’au niveau macro (celui de l’organisation et/ou de la performance collective) - au sujet des résultats de l’équipe de France olympique, nécessitent d’acquérir de l’information i.e. des « données » au sens le plus large possible de ce terme. Comment produit-on ces données ? La définition empirique de critères de repérage et/ou d’indicateurs proposés par différents observateurs conduit traditionnellement à de nombreuses schématisations que nous citerons pour les porter à la connaissance de tous. Cependant en offrant la possibilité de voir côte à côte des données construites à partir d’un même indicateur, les regroupements artificiels ainsi proposés à la lecture, orientent implicitement vers la comparaison des fédérations, des pays, des modes d’organisation, des contextes politico-institutionnels, ... en laissant supposer que les indicateurs indexent une « supériorité » et/ou une « infériorité » des uns vis-à-vis des autres. 

Un regard plutôt orienté vers la compréhension des dynamiques singulières. Si l’on conçoit la performance comme une « action située » et émergente - ce qui sous-tend l'idée que toute action dépend étroitement des circonstances matérielles, humaines et sociales dans lesquelles elle a lieu - il devient difficile de comparer des organisations, des interactions continues entre les humains, l’environnement et le contexte dans lesquels ils évoluent.Les situations complexes et très contingentes auxquelles ont été confrontés les athlètes et les entraineurs appellent moins à manifester des comparaisons, qu’à rechercher à signifier les compromis et les réponses singulières viables qu’ils ont construit en situation (ce qui devient alors aussi des « données »).  Cf. les Entretiens Insep du 6 et 7 février 2012 traitant du « management dans la singularité » : les vidéos en ligne http://www.canal-insep.fr/managerdanslasingulairte et les diaporamas http://pfleurance.hautetfort.com/archive/2011/12/08/manager-dans-la-singularite.html Nous attirons l’attention sur le risque de réifier les données chiffrées - i.e. s’abstraire des conditions qui les ont produites - et de tirer hâtivement des conclusions à partir de causalités apparentes et trop vite décrétées comme étant la ou les causes efficientes des résultats observés. Certes, les  JOP peuvent être réfléchis à l’aide de données numériques,  mais l’accent mis par les acteurs sur les « détails », les « petits riens », « les moments d'exception » oriente aussi notre attention vers les vécus individuels et collectifs, les expériences, les émotions, les joies, les souffrances, ... et ce sont autant de lectures possibles de l’événement olympique. Le ressenti des acteurs est rarement pris en compte pour évaluer les divers processus qui concourent à l’efficacité JOP. La sophistication des bilans chiffrés/statistiques contraste avec la pauvreté des données recueillies quant à la conscience subjective du vécu corporel et/ou émotionnel. La compréhension d’une situation sportive ne peut être qu’hybride : rationnelle, mais aussi sensible, éthique ... voire esthétique      

Une « conversation réflexive » avec les données : améliorer la visualisation graphique pour mieux les comprendre. Les sujets dont nous traitons sont complexes et certes, ils s’appuient sur des concepts et théories explicites que l’on peut/doit exprimer. Il n’en reste pas moins que la présentation de données brutes et abstraites appellent à nos yeux, un design particulier pour faire comprendre et mieux retenir les informations présentées. Notre conception ordinaire du « voir » est conditionnée par le fait que l’on assimile l'œil à une caméra, ce qui laisse à penser que la contemplation/observation d’une scène permet d’en recueillir toutes les informations. Mais, au final, c’est bien le lecteur de l’information qui en construit le sens. Alors que le traitement des données repose sur des relations mathématiques et est le plus souvent restitué tel quel par un schéma, la compréhension à partir des structures visuelles nécessite des propriétés graphiques faciles à interpréter pour la vision humaine et ce, d’autant plus que la perception sera active parce que l’action, le mouvement sera impliqué dans l’acte de visualisation. Récemment, l’informatique a permis le développement de l’interaction homme - machine en construisant des instruments instantanés de manipulation manuelle et visuelle des données : le développement des performances interactives des outils informatiques permet alors d'améliorer sous forme de « conversation réflexive » avec les données, la compréhension des schématisations usuelles (histogrammes, courbes, ...) de certains phénomènes mis en jeu.

L’idée que nous développons ici est d’améliorer les possibilités d’intelligibilité des réalités complexes, de les exploiter en proposant des « saillances » visuelles et ainsi – plutôt que de proposer des schémas statiques et linéaires - de permettre à chacun de créer sa propre visualisation des données proposées en explorant activement les artefacts de visualisation. Qui a dit qu'une image valait mille mots ?  Passer des mots à l’image permet de représenter les données (résultats, chiffres, textes, historique, ...) sous forme de visualisation pragmatique, dynamique et interactive afin i) d’explorer et de rendre plus lisible une base de données ; ii) de trouver/visualiser plus vite des choses que l’on sait déjà ; iii) de trouver/visualiser plus vite des choses que l’on sent intuitivement ; iv) éventuellement de trouver/visualiser des choses « nouvelles ». Concrètement les schématisations présentées dans ce document s’appuient essentiellement sur des logiciels de visualisation de données qui conduisent à utiliser la souris pour faire apparaitre des informations sur écran, à manipuler des curseurs, à faire jouer la roulette de la souris pour augmenter ou diminuer la focale de vision.

Une intelligibilité des JOP qui appelle une posture hybride et en tension « dedans -  dehors ». Les procédures organisées d'acquisition d'informations qui comportent - dans la perspective des objectifs exprimés ici - une confrontation avec la « réalité », nécessitent de réfléchir à la légitimité de la parole qui s’exprime : « d’où l’on parle » et « pourquoi l’on parle ».  Ce sont toutes les questions liées aux procédures et méthodologies de l’expertise de nature externe (dehors) ou à l’auto-expertise de nature interne (dedans) qui sont posées ici et dont il convient de rendre compte pour préciser la posture de la Mission Expertise. 1.) Du coté du « dehors », l’expertise sociotechnique a longtemps ancré sa légitimité dans le seul registre « savant » qui à partir d’une position d’observateur distant et en surplomb vis-à-vis de l’action, tire des analyses ex post pour aboutir à des préconisations de nature universelle.Cette posture fonctionne sur la base de présupposés explicites : l’expertise doit être fondée uniquement sur des données « fiables » c’est-à-dire sur un ensemble de données objectives, celles-ci étant dites objectives car issues d’une méthodologie fonctionnant de manière totalement indépendante de son contexte (au sens large du terme : social, politique, économique,  historique, humain). Cette posture plus ou moins assimilable à celle de l’audit, conduit à l’élaboration d’indicateurs de résultats susceptibles d’orienter la gouvernance des organisations sportives. Ce premier point de vue considère alors l’expert comme complètement externe aux processus de décision en coursC’est évidemment la première piste que les managers vont suivre pour tenter d’évaluer et/ou de contrôler les stratégies de leur organisation. Dans une gouvernance davantage basée sur des faits probants que sur les opinions et avis des parties prenantes, les indicateurs construits à cet effet sont susceptibles de fournir des informations nécessaires à la détermination d’objectifs stratégiques, au suivi des effets de ces stratégies et au final, d’informer les décideurs du niveau et de l’évolution d’un phénomène particulier. Cette référence à la « politique des preuves » dont la Mission Expertise ne saurait s’exonérer pour aborder la question de l’évaluation de l’effectivité des actions organisationnelles nécessite alors de s’interroger sur le sens et la pertinence des indicateurs et propositions « statistiques » qui sont avancées pour rendre compte de l’effectivité des actions des organisations et ici, des résultats au JOP ; 2.) Du coté du « dedans », toutes tentatives d’observation, de jugement et de prescription qui sont basées sur un raisonnement abstrait et distancié, en vue d'accorder les actions étudiées à des principes qui sont extérieurs aux professionnels concernés, sont légitimement et pragmatiquement questionnées. Le métier d’entraîneur et/ou de manager repose sur des compétences qui mobilisent des savoirs d’action, de l’expérience, des savoir-faire maîtrisés pour analyser des situations singulières et agir au mieux compte tenu de l’état des connaissances et des controverses professionnelles et/ou scientifiques actuelles. C’est donc l’activité – c’est-à-dire le réel du travail dans son dynamisme, ses contextes, ses dimensions interactives –, reliée aux orientations stratégiques du projet sportif autant qu’aux valeurs et aux cultures sportives qui la sous-tendent, qui est l’objet des préoccupations de « l’expertise » : il s’agit de comprendre le travail des entraîneurs et des managers tel qu’il se fait et, le plus souvent possible, du point de vue de ceux qui l’exercent réellement. Ce second point de vue considère alors l’expert comme impliqué dans le système et éventuellement dans les processus de décision quand il y a un usage tourné vers l'action. Contrairement à ce que l’on pense ordinairement, il est difficile d’accéder à cette expérience sensible et faire-parler à propos des pratiques professionnelles nécessite des méthodologies adaptées.

Le recours aux « experts » - si une expertise est possible sur les sujets que nous abordons - interroge donc la nature même des savoirs convoqués dans cet exercice : le « savant » aurait-il une connaissance qui s’impose à priori au « praticien » ? Les parties prenantes réfléchissant collectivement sur la problématique posée n’ont-elles pas développées des savoirs - certes différents - mais tout aussi pertinents et ce, d’un autre point de vue ? Constatant i) qu’il est difficile de traiter l’incertitude dans un environnement dynamique et que l’information disponible y est souvent incomplète ; ii) que les acteurs participant aux process de décision sont multiples, en situation d’interdépendance et qu’ils ne peuvent être omniscients - la posture hybride et en tension « dedans -  dehors » de la Mission Expertise consiste alors à dépasser le « one shot » de l’expertise ponctuelle et distante pour engager un processus d'expertise ouvert aux parties prenantes, sous forme de débats où l'aboutissement final se construit par confrontation des différents intérêts et arguments des acteurs concernés. On cherche ainsi à engager un travail de modélisation participative conçu comme forme d’apprentissage mutuel, comme expérience collective formatrice de nouvelles connaissances pour l’action collective, comme temps d’exploration et d’innovation. Le rôle de la mission expertise est alors i) de chercher à constituer des communautés « débattantes » pertinentes vis-à-vis des problématiques en jeu ; ii) de déterminer selon les objectifs poursuivis et les possibilités d'observation, les granularités de l'espace et du temps pertinentes ; iii) de « donner à voir » - au sens littéral de ce terme - les événements sous des formes diverses et en particulier, sous forme de modélisations systémiques ; iv) de chercher à fabriquer des « arrangements », des compromis les plus solides possibles entre le pôle des connaissances scientifiques, celui des contraintes réglementaires, celui des intérêts socio-économiques et celui des pratiques professionnelles.

L’accent mis sur les choses « dites » pour faire exister des « objets inaperçus » jusqu’alors des regards traditionnels. Dans le cadre des Entretiens de l’Insep et de ce document, les outils conceptuels peuvent être considérés comme des informations qui donnent à penser sur ce qui se passe et sur la façon d'appréhender les choses. Cette « inversion » de la vision traditionnelle de « la théorie », donne du sens et de la pertinence au registre scientifique qui pour le coup change de statut, en montrant les outils intellectuels qui semblent nécessaires à l’intelligibilité des situations évoquées et des phénomènes rapportés. « C'est le premier élément de ce vide stratégique : le refus systématique de l'imagination. L'expression d'un raisonnement atypique et original y fait l'objet d'autocensure, ou de pression à la conformité. Les signaux faibles y sont repoussés. Ceux qui les portent ou les mettent en avant sont stigmatisés. L'obstacle est à la fois celui de la perte de la préoccupation authentique, et la magnification des réponses toutes prêtes, engendrée par des sociétés vivant dans l'immédiateté, l'hypertrophie de la disponibilité au détriment du sens, du spectaculaire au détriment de l'analyse. (Philippe Baumard, 2012 p 147 cf. http://pfleurance.hautetfort.com/list/prospective-du-present-et-management-durable/une-lecture-de-l-ouvrage-%C2%A0le-vide-strategique%C2%A0-p-baumard-201.html)Il apparait important de questionner les catégorisations, les verbalisations, les causes évidentes, ... que l’on utilise pour décrire le cadrage de nos actions. La remise en cause du prêt à penser et l’effort de « nomination » des choses est un pas sérieux vers la possibilité d’une remise en question des certitudes.

Par la seule énonciation, on crée ou on transforme une situation donnée … si l'on reprend les thèses sur les « actes de langage » : dans le « dire », il y a déjà le « faire ». Que le « faire » advienne, c'est une autre histoire - mais une histoire qui ne serait jamais advenue si le « dire » ne l'avait précédée. En linguistique, on dit d’un énoncé qu’il est performatif quand il instaure ce dont il parle. Par exemple, quand « j’inaugure » quelque chose, je ne constate pas un état des choses, ou une action extérieure à mon énoncé puisque c’est en la disant que cette action est accomplie. Cette perspective permet de qualifier les situations dans lesquelles l’objet sur lequel porte un travail scientifique n’est pas simplement constaté ou décrit, mais modifié voire appelé à exister, du fait que des actions de connaissances sont accomplies sur cet objet. La notion de « performativité », empruntée à la pragmatique du langage, met en évidence le fait que les sciences en général, sociales en particulier, ne se limitent pas à représenter le monde : en dénommant les choses, elles le réalisent, le provoquent, le constituent aussi - du moins dans une certaine mesure et sous certaines conditions. En abordant les « objets » JOP de cette façon nous nous référons au champ de l’anthropologie des sciences et des techniques qui considère que les pratiques scientifiques et techniques interviennent constamment dans la constitution du monde qu’elles s’efforcent de représenter. En effet, peut-on parler de « réel » en sciences et/ou dans les activités d’expertise, sans faire référence à la façon dont ce qu'on appelle « connaissance » est construit dans un processus complexe associant les observateurs, leurs instruments et « de la réalité » certes sous-jacente, mais inconnaissable « en soi ». Dans tous les cas, les éléments écrits résultant de cette forme de travail, évoluent et se transforment au fil de la réflexion : malléables, modulables, leur forme n’est jamais définitivement fixée. La vocation d’un document comme celui-ci n’est pas d’être « achevé », mais de poser des jalons qui permettent à l’analyse d’avancer. En ce sens, cette « écriture intermédiaire » traduit le mouvement de la connaissance collective. Cf. documents ci joint colonne de gauche

 

08:21 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |