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18/10/2011

Séminaire 7 : Du contrôle de gestion à l'intelligence stratégique en gestion

1. Quelle est la valeur d’un oiseau chanteur ? (Funtowicz & Ravetz, 1994) Cette question peut apparaitre saugrenue mais évaluer quelque chose qui échappe aux valeurs commerciales ordinairement connues, pousse à réfléchir à la fois nos raisonnements économiques et les modèles qui sous-tendent la production des connaissances en ce domaine. Les fameux « modèles » économiques dont les catégories ne rayonnent pas de clarté et d’évidence, traduisent souvent la prééminence d’une grille de lecture comptable et conduisent à s’interroger sur les fondements même de la « gestion » qui peut en découler. Évaluer la valeur d’un oiseau chanteur résume ainsi les questions que l’on peut se poser pour utiliser les sciences économiques et les sciences de gestion en tant qu’outils conduisant/accompagnant des prises de décision efficace et durable pour l'action/projet. Comment raisonnent les économistes ? cf. A. Kirman http://www.touteconomie.org/index.php?arc=dc009c  Quelles interrogations sur la pertinence des mesures actuelles de la performance économique, notamment celles fondées uniquement sur les chiffres du PIB cf. http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr/fr/index.htm

Certes le « mercato » consiste à traiter les contrats de certains joueurs comme des actifs incorporels et d'aucuns estiment que le contexte du football constitue un exemple révélateur de la valorisation comptable du capital humain en sport. Mais au-delà de cette vision, quelle est la valeur d’une fédération sportive ? Quelle est la valeur du travail des milliers de bénévoles des clubs qui font le sport français ? Quelle est la valeur de ces collectifs organisés ? La question de la valeur monétaire des activités dans le secteur marchand et non marchand associatif force à être clairs au sujet de ce qui est évalué, comment cette évaluation est faite, et au final, quelle valeur a-t-elle ? (cf. le doc ci contre Qu’est ce qu’une externalité ?). Ces questions initiales veulent signifier l’esprit du séminaire : certes l’économie sanctionne l’organisation mais elle ne dirige pas la stratégie. Afin que puissent être précisés les moyens nécessaires au projet, sa mise en œuvre exige une réflexion sur la mission principale - d’ordre 1 - de la structure concernée (celle qui vaudra l'atteinte de l’objectif mais qui n’est pas si aisée que cela à  exprimer de manière claire et partagée cf. l’approche « lean » du séminaire 6), sous contrainte de quelques autres objectifs d’ordre 2 voire d'ordre 3. Le contrôle de gestion, au sens opérationnel du terme, constitue une aide au pilotage des organisations et influence le comportement des managers/des acteurs : les activités économiques et de gestion en acte n’ont de sens que par rapport au projet et c’est alors dans la sphère des actions et relations humaines et non en elles-mêmes qu’elles trouvent leur finalité. Quel impact sur les conceptions et activités « gestionnaires » du manager ?

2. La période actuelle incite à nous interroger sur les biens qui sont de « propriétés communes », comme en témoignent les discussions autour des logiciels libres, des recherches génétiques et de leur brevetabilité, de la qualité de notre environnement, de l’usage de la nature pour des activités sportives invasives, … « le » sport comme objet social pour ce qui nous concerne, et mettent les questions relatives aux régimes d’appropriation, d’usage et de gouvernance au cœur des problématiques de nos sociétés contemporaines. Les « commons » sont des ressources que les communautés humaines sont susceptibles de partager pour entreprendre une action, pour développer ou jouir d’un service, d’un produit, d’une liberté. Dans un raisonnement économique standard, la problématique initiale a été posée de la manière suivante : les ressources qui sont en libre accès - « biens communs » - ne peuvent être préservées qu’en se maintenant dans une situation de sous-consommation. Que la population augmente ou que les droits soient mal définis et nous assistons à la « tragédie des communs » (Hardin, 1968) : chaque acteur est pensé comme ayant intérêt à maximiser sa consommation et ce comportement conduit à terme, à la destruction des « commons » ne laissant alors que l’alternative de sauvegarde entre la privatisation (contrôle par le coût) ou le contrôle direct par la puissance publique.  Les « commons » sont susceptibles de partage et tout autant de privatisation, d’exploitation marchande unilatérale ou de contrôle par un pouvoir centralisé.

Ostrom (1990) nous permet de dépasser l’opposition frontale entre la gouvernance « éclatée » reposant sur l’appropriation privée et le marché d’une part, et la gouvernance « centralisée » via l’appropriation étatique et la loi d’autre part, laissant peu de place à une voie médiane de gouvernance, celle des « commons » via des communautés organisées. Elinor Ostrom nous dit que cette voie médiane de l'auto-organisation (i.e. la régulation par les parties prenantes) doit être considérée comme possible au même titre que les deux voies classiques : le mode de gouvernance le mieux adapté à un problème posé au sein d’une société donnée ne peut être décrété a priori ; il est contingent aux caractéristiques (techniques, politiques, culturelles, …) de ce problème et de cette société. Ses publications confortent les idées d’arrangements locaux, de renormalisations en acte, de créativité institutionnelle, d’autonomie et de responsabilité des acteurs locaux, de crédibilité des collectifs parties prenantes, … en donnant à voir des systèmes d’activités économiques reliés par des liens de coordination et prenant des configurations diverses en raison notamment, de l’hétérogénéité des compétences mises en œuvre et des complémentarités pratiques de différents acteurs, dont l’intervention combinée est nécessaire à l’atteinte de la visée de gestion de la ressource commune. L’efficacité et la durabilité des accords collectifs et solutions gestionnaires semble dépendre de mécanismes « fins » impliqués par cette « co-construction », telle la confiance, la taille des groupes, la valence des intérêts, l’existence de meneurs ayant l’expérience de l’organisation, l’existence d’un système judiciaire local, ... Sans angélisme ni naïveté donc, Ostrom montre ainsi qu’un certain nombre de conditions doivent être remplies. En débat donc une conception de la « rationalité en acte » plus ouverte et il semble – plus réaliste et humaine - que celle dont les économistes se réclament habituellement (i.e. mathématisée à l’extrême). Le système de régulations croisées entre les autorités associatives sportives et les autorités régaliennes est-il finalement une voie innovante ?

3. La vision rationaliste et optimisatrice de la gestion ? Le jeu de l'ultimatum (Henrich, 2004) interroge cette idée fortement répandue : une personne « l'offreur » dispose d'une somme de 100, et en propose une partie, à une autre « le répondeur ». Les deux joueurs ne se connaissent pas, mais chacun connaît les règles du jeu, et le répondeur sait de combien l'offreur dispose, et combien il propose. Le répondeur peut accepter l'offre, auquel cas il gagne ce qui lui est proposé, et l'offreur garde le reste. Il peut aussi refuser, et ni l'un ni l'autre ne gagne alors quoi que ce soit. Le jeu n'a lieu qu'une fois : les stratégies pour pousser l'offreur à modifier son offre initiale sont donc inutiles. Supposant que les deux individus impliqués soient des Homo Oeconomicus, c’est-à-dire deux individus parfaitement rationnels et totalement égoïstes, la théorie économique standard prédit que vous allez offrir le plus petit montant possible – 1 - et que cette offre sera acceptée par votre partenaire (après tout, c’est toujours mieux que rien !).

En fait, on observe un comportement tout à fait différent que celui qui est avancé. En dessous d'une certaine somme, le répondeur refuse presque toujours : qui accepterait un euro pour en faire gagner 99 à un autre avec qui il n’a pas de lien particulier ? Ce refus est une évidence émotive, humaine, interprétative, liée au sens de la situation. Nous ne sommes pas rationnels au sens de la rationalité économique pure et individuelle ! En agrégeant différentes considérations (i.e. réintroduction des éléments de contexte : culture, équité, loyauté, émotion, ..) les offreurs ont tendance à proposer bien plus qu'un euro (entre 20 et 50% de la somme initiale). Un management qui évite de se baser sur les comportements de l’agent représentatif issus de l’approche gaussienne (de la moyenne) ? Lors de ses travaux sur la répartition de la richesse en Italie, Pareto (http://www.liens-socio.org/Pourquoi-lire-Pareto-aujourd-hui) constata que 80% des richesses et des revenus de la société sont possédées par 20% de la population. On retrouve ce principe mathématique dans le champ des activités sociales hors du strict champ d’origine de l'économie. De fait, cela devient même une « loi » statistique qui se synthétise de la manière suivante : 20% des causes provoquent 80% des effets ou autrement dit en extrapolant « 20 % de ceci engendre 80 % de cela » : par exemple,  20 % des moyens permettent d’atteindre 80 % des objectifs, …ce qui n’est pas sans interroger le manager/gestionnaire ! Cependant l’application directe de cette « loi » - qui est une loi mathématique fondée sur des observations en nombre important - en toute circonstance comme intelligibilité de cas singuliers mérite, en regard des préconisations que l’on pourrait en tirer, une certaine prudence. Nielsen montre que dans d’autres situations sociales (par exemple l’expression sur un site web) cette répartition ne prend pas la forme 80/20 mais plutôt une forme du type 90/9/1 (loi de Zipf : http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Zipf ), avec 90% des gens qui observent en silence  - 9% qui interviennent peu, et 1% qui donnent 90% des contributions. La mise en œuvre des schèmes de gestion résultent aussi d’événements contingents et locaux, insérés dans une organisation qui l’influence et la détermine et sur laquelle elle est susceptible - selon toute vraisemblance - de peser à son tour. « Dans le fond, il n’est pas logique que je garde le club. Si j’étais une vraie businesswoman très raisonnable, je l’aurais déjà vendu » explique Margarita Louis-Dreyfus à propos du club de foot Marseille et de son manque de résultats en regard de l’investissement financier consenti (le Monde du 8 octobre 2001). Les managers peuvent-ils acter qu’ils interprètent les situations, y compris les actes et les intentions d’autrui, et tentent en permanence de construire/ manifester/accompagner dans leurs actes de gestion les processus d’action et d’interactions engagés ? Une double invitation donc visant à étudier les « actions de gestion » et la « gestion dans l’action » ; les deux aspects étant d’ailleurs intimement liés (http://eduscol.education.fr/cid46096/les-indicateurs-soci...

4. C'est l'intendance qui commande ? La face cachée des outils de gestion (Berry, 1983). Des instruments de gestion plus ou moins complexes (et de plus en plus nombreux sur le marché) comme un organigramme, une démarche qualité, une cartographie des processus, un budget, un tableau de bord, un indicateur, un progiciel de gestion intégré, une méthode de calcul des coûts, une systématisation de réunion, une procédure de compte rendu, un stage de motivation, une gestion de projet, une organisation des procédures budgétaires en mode Lolf, etc … sont mobilisés dans la gestion des organisations.  Certes ces outils structurent l’action et les interactions et sont des auxiliaires indispensables à l’action du manager, mais si « les instruments mobilisés dans la gestion constituent un élément décisif de la structuration des situations et de leur évolution, … ils engendrent souvent mécaniquement des choix et des comportements échappant aux prises des volontés des hommes, parfois même à leur conscience ; ils conduisent ainsi les organisations dans des directions voulues parfois par personne et les rendent même rebelles aux efforts de réforme ». Typiquement, l’affirmation analytique portée par des outils de gestion concernant l’atteinte de 50 objectifs et sous-objectifs (respecter le budget et aligner le système sur la stratégie et normaliser les processus qualités et … et … et) peine à rendre compte de la réalité d’un système complexe, des effets d’interactions et d’échelle qui s’y joue. Cette vision gestionnaire est « instrumentalisée, car elle est marquée par des modes qui, toutes sans exception, sont supposées résoudre tous les problèmes, du « tout contrôle de gestion » au « tout qualité » au « tout tableaux de bord équilibrés, au « tout indicateurs ». Cette instrumentalisation fait fi des présupposés philosophiques et politiques (quelle administration veut-on ?) ainsi que des êtres humains qui la composent (quelles valeurs voulons-nous promouvoir ?) » (C. Rochet, 2011)

Les notions d’outil, dispositif, artefact, d’objet intermédiaire, … contribuent à la reformulation d'une problématique ancienne et récurrente qui est celle du statut des objets techniques, de la pragmatique de leur usage et de leur appropriation dans les activités de travail. Les activités coopératives complexes que les objets techniques permettent/supportent, exigent – au delà de leur propre technicité « neutre »  à laquelle on les réduit souvent - la prise en compte et l'interaction des dimensions ergonomiques, cognitives et plus largement anthropologiques et sociales (cf. séminaire 2 - 3 et 4 )

5. Le Nouveau Management Public ? L’idée principale de cette nouvelle doctrine est que les méthodes de management du secteur privé, supérieures à celles du secteur public, peuvent lui être transposées. Le secteur public est jugé inefficace, excessivement bureaucratique, rigide, coûteux, centré sur son propre développement, non innovant et ayant une hiérarchie trop centralisée. Dès lors, pour le perfectionner il est nécessaire d’accroître les marges de manœuvre des gestionnaires pour leur permettre de mieux répondre, au moindre coût, aux attentes des usagers. Cette conception du secteur public – et plus particulièrement de l’administration – est à l’opposée de celle de Weber pour lequel la « bureaucratie », véritable idéal type, est la condition même de l’efficacité par sa dimension rationaliste (cf. séminaire 2).

La réflexion sur les outils de gestion est importante dans le contexte des réformes et modernisations du secteur public, dans la mesure où ces changements s'appuient largement sur des instrumentations de gestion souvent issues du secteur privé. Evoquons ici, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001, dont le but principal réside dans la recherche d’un meilleur pilotage des dépenses et dans une responsabilité accrue des gestionnaires. Les budgets sont dorénavant votés par programmes basés sur des objectifs stratégiques précis (cf. le programme sport). Les gestionnaires, plus autonomes, peuvent alors, au sein d’un programme, réaffecter les crédits (principe de fongibilité) comme bon leur semble avec toutefois l’impossibilité d’augmenter les crédits consacrés au personnel. Des indicateurs de résultat et de qualité évaluent les programmes ce qui permet de justifier ou d’ajuster les sommes affectées aux différentes missions (Bien que deux fonctionnaires sur trois doutent de la pertinence des indicateurs Lolf pour évaluer la qualité de leur travail ou celui de leur service, selon une enquête Ipsos pour la Cour des comptes : http://www.acteurspublics.com/article/07-11-11/le-rejet-d...)

6. La gouvernance partagée état – fédération. Comment se comprendre et agir ensemble ? : de la convention d’objectifs à la théorie des conventions. « La convention d’objectifs, en règle générale pluriannuelle, est l’outil central du partenariat financier entre l’Etat et les fédérations sportives. Elle concrétise la volonté d’engagement du ministère chargé des sports et de ses partenaires associatifs pour une participation commune à la mission de service public de développement des activités physiques et sportives. Elle est la traduction opérationnelle et financière d’une politique sportive partenariale (fondée sur le dialogue entre deux acteurs éminents du champ sportif) et contractualisée (fondée sur des engagements réciproques, évalués chaque année). La démarche repose sur la production d’un bilan critique de l’olympiade écoulée établi par la fédération, qui permet de définir pour 4 ans une stratégie fédérale, des orientations, des priorités et des moyens. Chaque année, le respect des engagements est contrôlé et les résultats sont évalués» (source MSJS). A la différence d'un contrat, où chaque détail serait explicité, lorsqu'il y a convention, les comportements attendus n'ont pas besoin d'être connus à l'avance, écrits puis ordonnés pour être obtenus.

Les conventions utilisées dans le cadre de la compréhension du fonctionnement des organisations peuvent être appréhendées comme des cadres interprétatifs mis au point et utilisés par des acteurs hétérogènes afin de procéder à l’évaluation des situations d’action et à leur coordination. La théorie des conventions (Dupuy JP & col, 1989) - approche hétérodoxe de l'économie en dialogue étroit avec la sociologie - cherche à comprendre comment les individus confrontés à des situations marquées par l’incertitude décident du comportement qu’ils vont adopter et comment, de ces multiples décisions individuelles, se dégage une certaine convergence, un certain ajustement des comportements des uns et des autres. Cette théorisation estime en effet que pour explorer les décisions individuelles, il ne faut pas postuler chez les individus les « intérêts », les « calculs », i.e. cette « rationalité » dont on parlait plus haut. Il faut au contraire écouter, enregistrer les raisons que les individus donnent pour rendre compte de leurs actions i.e. prendre en compte les « rationalisations » des individus plutôt que de postuler la « rationalité » de leurs décisions. Les conventions offrent donc des solutions efficaces et simples à des problèmes de coordination qui sont a priori complexes. Un nouveau regard porté sur la convention d’objectifs ?

14:36 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

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