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19/11/2011

Séminaire 8 : Vers un management 2.0 ? La conduite de projet complexe

 1. Ce huitième séminaire achève le cycle de séminaires en présentiel mais pas la formation puisque douze jours de stage et la rédaction d’un mémoire professionnel contribueront à la finalisation de celle-ci. Bien que la formation ait mobilisé des Etudes de Cas à Dimension Multiple (ECADIM) et des modélisations/simulations sous forme de jeu professionnel (serious game - COMMOD), aller sur le « terrain » n’est pas sans poser quelques questions redoutables liées à la mise en avant du terme « terrain » qui de fait, laisse penser trop souvent, que l’on en a fini avec son pendant « théorie » i.e. les outils de l’intelligibilité des situations vécues. Rappelons que cette formation a cherché à contourner l’obstacle « savoirs vs action » en prenant de la distance avec la façon dont l’université encyclopédique découpe ses contenus en « disciplines » - ce qui la conduit à voir les pratiques en contexte comme des sciences appliquées (cf. séminaire 2). Pourquoi s'interroger sur la pertinence des savoirs utiles aux managers ? Doutant des grandes théories génériques du management et des solutions clés en main – et de plus dans le « contexte sport » de la gouvernance partagée - la vision avancée est pragmatique par le fait qu’elle est organisée autour « d’objets - processus » (cf. textes de présentation de la formation TMS) i.e. des situations comme nœuds complexes de l’action professionnelle impliquant dynamiquement l’articulation des activités individuelles (cf. texte modélisation du processus métier comme un système multi-acteurs) et non autour des disciplines et/ou des savoirs disciplinaires à transmettre pour ensuite tenter de les appliquer (i.e. « matters of concerns, » vs « matters of fact » cf. Bruno Latour ci-contre). La conception « rhizome » de la formation dans laquelle l'organisation des séminaires ne suit pas une ligne logique mais où récursivement tout élément peut affecter ou influencer tout autre, traduit notre rejet des catégorisations closes - à priori - sur elles-mêmes. On peut en attendre une suspension et un réexamen des catégories d’analyse habituellement manipulées lors de l’observation des activités de management.   

          Une vision objectiviste souvent trop peu réfléchie par les conceptions de l’alternance, laisse à penser que le « terrain » est un champ d’observation qui se livrerait passivement aux investigations et ce de plus, à partir d’outils préconçus … Pour discuter cette idée, nous avons mis en avant les notions d’auto-organisation et d’autopoïese propre à Humberto Maturana & Francisco Varela qui définissent un système autopoïétique comme un réseau de processus de production de composants qui régénèrent continuellement par leurs transformations et leurs interactions le réseau qui les a produits. En somme, l'organisation donne dynamiquement forme à son environnement en même temps qu'elle est façonnée par lui : nous l’avons appelé « monde propre » dans le séminaire 2. Ce qui fait dire à Michel Berry (cf. rubrique : réflexions pour un mémoire de terrain) « Lorsqu’on arrive sur un terrain, c’est comme en parachute quand on a peu d’expérience : on contrôle mal l’endroit où l’on atterrit » : l’observateur doit aussi s’observer dans son observation !   

2. Réfléchir l’organisation de sa structure : penser ensemble unité et diversité ? L’organisation de la Direction Technique Nationale à partir de familles de processus métier conduit à distinguer classiquement trois secteurs : le sport de haut niveau – la formation – le développement. Cette structuration verticale de l’organisation type 1.0 coïncide avec la division/spécialisation de la connaissance/compétence et de fait la priorité est alors donnée à l'optimisation « locale » de chaque métier en fonction des enjeux de la fédération. L’articulation et la coordination entre les processus métiers apparait alors simple (regroupement des acteurs par processus) et transparente pour le manager puisqu’elle est assurée à la fois par l’organigramme hiérarchique et par des rapports de type « taylorien » entre métiers et en particulier, entre ce qu'ils peuvent - à priori - espérer les uns et les autres comme coordination et cohérence issues de leur « cœur de métier » (cf. séminaire 4). Cette configuration en silo qualifiée de bureaucratie professionnelle par Mintzberg (1995) produit des figures archétypales (DTN, Directeur Général, CTR, Entraineur national, …) qui tendent à morceler les compétences, à différencier plutôt qu’à réunir, et pose la question du fonctionnement systémique de la fédération pour répondre aux demandes de ses « clients ». Les contextes et cultures fédérales – 350 disciplines et sous disciplines sportives - le niveau territorial permettent parfois une segmentation plus « horizontale » et singulière dans laquelle les structures sont construites autour des processus (par exemple, les Equipes Techniques Régionales) en passant d’une répartition des tâches par service à la constitution d’équipes multifonctionnelles, plus autonomes et centrées résultat.

Vers une organisation agile et un management 2.0 ? La nécessité de recourir à un management plus agile des projets et des activités ne fait pas l’ombre d’un doute dans des environnements faits de contraintes de performance, de besoin d’innovation, de multiplicité des parties prenantes, de complexité, d’incertitude,… Dans l’étude 2008 « Analyse de l’activité du Directeur Technique National et de la Direction Technique Nationale » - partie 4.1 du rapport - nous avons décrit trois modes d’organisation préférentielle de la direction technique nationale : d’une conception hiérarchique et descendante à une conception centraliste - d’une conception centraliste à une conception transversale et partagée - d’une conception transversale et partagée à une conception des systèmes ouverts dans lesquels l’organisation « en réseau » essaient de mixer de façon plus dynamique la structuration statique verticale, en formant des groupes multi-métiers selon les projets. Ces réseaux dans le travail sont des ensembles partiellement mouvants d’interactions - par exemple, des entités de travail momentanément pertinentes  pour développer une opportunité - différents en ce sens de la structuration de l’organisation : ils constituent des formes de coordination distribuée et « floue » vis-à-vis de celle-ci. La formation TMS s’est donc intéressée à l’agilité organisationnelle, un concept en phase avec les problématiques rencontrées par les organisations faisant face à un environnement « deeply ill structured », constitué de « wicked problems » (cf. ci contre). Définie comme une capacité de reconfiguration organisationnelle permettant d’exploiter les opportunités offertes par le changement, l’agilité fait l’objet d’une véritable capacité organisationnelle à transformer le management d’un mode centralisé et planifié vers un mode décentralisé et réactif. C’est pourquoi, nous avons insisté pour que les processus soient décrits et formalisés car à chaque fois que l'on formalise/cartographie - avec la granularité ad hoc - un processus métier avec ses acteurs on découvre comment il fonctionne réellement, comment il est mis en œuvre au quotidien (cf. les documents modélisation/simulation). C’est ainsi que - le plus souvent - cet exercice de réflexivité collective et/ou individuelle permet de découvrir des premières pistes d'optimisation (cf. les textes sur l’analyse de l’activité).

3. Le rôle managérial du DTN consiste à comprendre, orienter et coordonner les divers acteurs de « la DTN » afin de les amener vers la résolution d'enjeux collectifs en prenant en compte ensemble les dimensions humaines, économiques, organisationnelles, technologiques, politiques et sociétales qui entourent les choix d’action. Ce travail d’intelligence collective au sein de la DTN se caractérise par des porteurs de projets - i) qui créent des dynamiques dans des communautés de pratique qu'ils constituent dans un environnement distribué et dans une dynamique d'échelle temporelle diversifiée - ii) avec des risques anticipés à chaque action - iii) dans une organisation qui apprend en faisant et fabrique des normativités intermédiaires pour anticiper l'avenir en gérant le quotidien (Fleurance et Pérez, 2009). L’essentiel de l’activité consiste en un travail de reliance qu’Engeström (2008) nomme « knotworking ». Nous relevons ainsi la part croissante des interactions/relations humaines dans la communication du projet de/dans la DTN ce qui est d’ailleurs au cœur des mutations du travail contemporain de type 2.0.

Les managers doivent agencer/subir un nombre croissant de canaux et de dispositifs de communication, en face en face et à distance, de manière synchrone et asynchrone. Ces phénomènes suscitent à la fois des formes de fragmentation de l’activité ainsi qu'une multiactivité, par laquelle les DTN s'engagent simultanément dans des contextes hétérogènes d’action et d’interaction. Cette multiactivité entraine une surcharge cognitive qui induit des risques de tous ordres (professionnel, personnel, psychologique, …) et qui appelle une large réflexion sur les pratiques mises en œuvre pour gérer ces situations. Les nouvelles formes sociétales de communication (cf. Jean Paul Gaillard ci-contre) accentuent ce défi en exigeant des organisations, de nouvelles formes de collaboration, difficile à atteindre avec des méthodes traditionnelles descendantes. Les outils 2.0 (messagerie instantanée, visioconférence, blog, réseau social, …) au service d'un mode de travail différent, permettent de matérialiser et d'implémenter des pratiques collaboratives certes, mais leur usage modifie le temps du travail qui devient « anywhere, anytime » : ceci appelle le DTN et ses collaborateurs à formaliser les processus de transmission d'informations (préciser les rôles, les interfaces, les formats, les temps opportuns, …). Le DTN est alors confronté à ce nouveau dilemme : la communication devient de plus en plus nécessaire/projet/actions mais c’est un processus qui prend du temps … et le temps est une ressource rare de l'organisation et de ses acteurs.

 

14:37 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

18/10/2011

Séminaire 7 : Du contrôle de gestion à l'intelligence stratégique en gestion

1. Quelle est la valeur d’un oiseau chanteur ? (Funtowicz & Ravetz, 1994) Cette question peut apparaitre saugrenue mais évaluer quelque chose qui échappe aux valeurs commerciales ordinairement connues, pousse à réfléchir à la fois nos raisonnements économiques et les modèles qui sous-tendent la production des connaissances en ce domaine. Les fameux « modèles » économiques dont les catégories ne rayonnent pas de clarté et d’évidence, traduisent souvent la prééminence d’une grille de lecture comptable et conduisent à s’interroger sur les fondements même de la « gestion » qui peut en découler. Évaluer la valeur d’un oiseau chanteur résume ainsi les questions que l’on peut se poser pour utiliser les sciences économiques et les sciences de gestion en tant qu’outils conduisant/accompagnant des prises de décision efficace et durable pour l'action/projet. Comment raisonnent les économistes ? cf. A. Kirman http://www.touteconomie.org/index.php?arc=dc009c  Quelles interrogations sur la pertinence des mesures actuelles de la performance économique, notamment celles fondées uniquement sur les chiffres du PIB cf. http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr/fr/index.htm

Certes le « mercato » consiste à traiter les contrats de certains joueurs comme des actifs incorporels et d'aucuns estiment que le contexte du football constitue un exemple révélateur de la valorisation comptable du capital humain en sport. Mais au-delà de cette vision, quelle est la valeur d’une fédération sportive ? Quelle est la valeur du travail des milliers de bénévoles des clubs qui font le sport français ? Quelle est la valeur de ces collectifs organisés ? La question de la valeur monétaire des activités dans le secteur marchand et non marchand associatif force à être clairs au sujet de ce qui est évalué, comment cette évaluation est faite, et au final, quelle valeur a-t-elle ? (cf. le doc ci contre Qu’est ce qu’une externalité ?). Ces questions initiales veulent signifier l’esprit du séminaire : certes l’économie sanctionne l’organisation mais elle ne dirige pas la stratégie. Afin que puissent être précisés les moyens nécessaires au projet, sa mise en œuvre exige une réflexion sur la mission principale - d’ordre 1 - de la structure concernée (celle qui vaudra l'atteinte de l’objectif mais qui n’est pas si aisée que cela à  exprimer de manière claire et partagée cf. l’approche « lean » du séminaire 6), sous contrainte de quelques autres objectifs d’ordre 2 voire d'ordre 3. Le contrôle de gestion, au sens opérationnel du terme, constitue une aide au pilotage des organisations et influence le comportement des managers/des acteurs : les activités économiques et de gestion en acte n’ont de sens que par rapport au projet et c’est alors dans la sphère des actions et relations humaines et non en elles-mêmes qu’elles trouvent leur finalité. Quel impact sur les conceptions et activités « gestionnaires » du manager ?

2. La période actuelle incite à nous interroger sur les biens qui sont de « propriétés communes », comme en témoignent les discussions autour des logiciels libres, des recherches génétiques et de leur brevetabilité, de la qualité de notre environnement, de l’usage de la nature pour des activités sportives invasives, … « le » sport comme objet social pour ce qui nous concerne, et mettent les questions relatives aux régimes d’appropriation, d’usage et de gouvernance au cœur des problématiques de nos sociétés contemporaines. Les « commons » sont des ressources que les communautés humaines sont susceptibles de partager pour entreprendre une action, pour développer ou jouir d’un service, d’un produit, d’une liberté. Dans un raisonnement économique standard, la problématique initiale a été posée de la manière suivante : les ressources qui sont en libre accès - « biens communs » - ne peuvent être préservées qu’en se maintenant dans une situation de sous-consommation. Que la population augmente ou que les droits soient mal définis et nous assistons à la « tragédie des communs » (Hardin, 1968) : chaque acteur est pensé comme ayant intérêt à maximiser sa consommation et ce comportement conduit à terme, à la destruction des « commons » ne laissant alors que l’alternative de sauvegarde entre la privatisation (contrôle par le coût) ou le contrôle direct par la puissance publique.  Les « commons » sont susceptibles de partage et tout autant de privatisation, d’exploitation marchande unilatérale ou de contrôle par un pouvoir centralisé.

Ostrom (1990) nous permet de dépasser l’opposition frontale entre la gouvernance « éclatée » reposant sur l’appropriation privée et le marché d’une part, et la gouvernance « centralisée » via l’appropriation étatique et la loi d’autre part, laissant peu de place à une voie médiane de gouvernance, celle des « commons » via des communautés organisées. Elinor Ostrom nous dit que cette voie médiane de l'auto-organisation (i.e. la régulation par les parties prenantes) doit être considérée comme possible au même titre que les deux voies classiques : le mode de gouvernance le mieux adapté à un problème posé au sein d’une société donnée ne peut être décrété a priori ; il est contingent aux caractéristiques (techniques, politiques, culturelles, …) de ce problème et de cette société. Ses publications confortent les idées d’arrangements locaux, de renormalisations en acte, de créativité institutionnelle, d’autonomie et de responsabilité des acteurs locaux, de crédibilité des collectifs parties prenantes, … en donnant à voir des systèmes d’activités économiques reliés par des liens de coordination et prenant des configurations diverses en raison notamment, de l’hétérogénéité des compétences mises en œuvre et des complémentarités pratiques de différents acteurs, dont l’intervention combinée est nécessaire à l’atteinte de la visée de gestion de la ressource commune. L’efficacité et la durabilité des accords collectifs et solutions gestionnaires semble dépendre de mécanismes « fins » impliqués par cette « co-construction », telle la confiance, la taille des groupes, la valence des intérêts, l’existence de meneurs ayant l’expérience de l’organisation, l’existence d’un système judiciaire local, ... Sans angélisme ni naïveté donc, Ostrom montre ainsi qu’un certain nombre de conditions doivent être remplies. En débat donc une conception de la « rationalité en acte » plus ouverte et il semble – plus réaliste et humaine - que celle dont les économistes se réclament habituellement (i.e. mathématisée à l’extrême). Le système de régulations croisées entre les autorités associatives sportives et les autorités régaliennes est-il finalement une voie innovante ?

3. La vision rationaliste et optimisatrice de la gestion ? Le jeu de l'ultimatum (Henrich, 2004) interroge cette idée fortement répandue : une personne « l'offreur » dispose d'une somme de 100, et en propose une partie, à une autre « le répondeur ». Les deux joueurs ne se connaissent pas, mais chacun connaît les règles du jeu, et le répondeur sait de combien l'offreur dispose, et combien il propose. Le répondeur peut accepter l'offre, auquel cas il gagne ce qui lui est proposé, et l'offreur garde le reste. Il peut aussi refuser, et ni l'un ni l'autre ne gagne alors quoi que ce soit. Le jeu n'a lieu qu'une fois : les stratégies pour pousser l'offreur à modifier son offre initiale sont donc inutiles. Supposant que les deux individus impliqués soient des Homo Oeconomicus, c’est-à-dire deux individus parfaitement rationnels et totalement égoïstes, la théorie économique standard prédit que vous allez offrir le plus petit montant possible – 1 - et que cette offre sera acceptée par votre partenaire (après tout, c’est toujours mieux que rien !).

En fait, on observe un comportement tout à fait différent que celui qui est avancé. En dessous d'une certaine somme, le répondeur refuse presque toujours : qui accepterait un euro pour en faire gagner 99 à un autre avec qui il n’a pas de lien particulier ? Ce refus est une évidence émotive, humaine, interprétative, liée au sens de la situation. Nous ne sommes pas rationnels au sens de la rationalité économique pure et individuelle ! En agrégeant différentes considérations (i.e. réintroduction des éléments de contexte : culture, équité, loyauté, émotion, ..) les offreurs ont tendance à proposer bien plus qu'un euro (entre 20 et 50% de la somme initiale). Un management qui évite de se baser sur les comportements de l’agent représentatif issus de l’approche gaussienne (de la moyenne) ? Lors de ses travaux sur la répartition de la richesse en Italie, Pareto (http://www.liens-socio.org/Pourquoi-lire-Pareto-aujourd-hui) constata que 80% des richesses et des revenus de la société sont possédées par 20% de la population. On retrouve ce principe mathématique dans le champ des activités sociales hors du strict champ d’origine de l'économie. De fait, cela devient même une « loi » statistique qui se synthétise de la manière suivante : 20% des causes provoquent 80% des effets ou autrement dit en extrapolant « 20 % de ceci engendre 80 % de cela » : par exemple,  20 % des moyens permettent d’atteindre 80 % des objectifs, …ce qui n’est pas sans interroger le manager/gestionnaire ! Cependant l’application directe de cette « loi » - qui est une loi mathématique fondée sur des observations en nombre important - en toute circonstance comme intelligibilité de cas singuliers mérite, en regard des préconisations que l’on pourrait en tirer, une certaine prudence. Nielsen montre que dans d’autres situations sociales (par exemple l’expression sur un site web) cette répartition ne prend pas la forme 80/20 mais plutôt une forme du type 90/9/1 (loi de Zipf : http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Zipf ), avec 90% des gens qui observent en silence  - 9% qui interviennent peu, et 1% qui donnent 90% des contributions. La mise en œuvre des schèmes de gestion résultent aussi d’événements contingents et locaux, insérés dans une organisation qui l’influence et la détermine et sur laquelle elle est susceptible - selon toute vraisemblance - de peser à son tour. « Dans le fond, il n’est pas logique que je garde le club. Si j’étais une vraie businesswoman très raisonnable, je l’aurais déjà vendu » explique Margarita Louis-Dreyfus à propos du club de foot Marseille et de son manque de résultats en regard de l’investissement financier consenti (le Monde du 8 octobre 2001). Les managers peuvent-ils acter qu’ils interprètent les situations, y compris les actes et les intentions d’autrui, et tentent en permanence de construire/ manifester/accompagner dans leurs actes de gestion les processus d’action et d’interactions engagés ? Une double invitation donc visant à étudier les « actions de gestion » et la « gestion dans l’action » ; les deux aspects étant d’ailleurs intimement liés (http://eduscol.education.fr/cid46096/les-indicateurs-soci...

4. C'est l'intendance qui commande ? La face cachée des outils de gestion (Berry, 1983). Des instruments de gestion plus ou moins complexes (et de plus en plus nombreux sur le marché) comme un organigramme, une démarche qualité, une cartographie des processus, un budget, un tableau de bord, un indicateur, un progiciel de gestion intégré, une méthode de calcul des coûts, une systématisation de réunion, une procédure de compte rendu, un stage de motivation, une gestion de projet, une organisation des procédures budgétaires en mode Lolf, etc … sont mobilisés dans la gestion des organisations.  Certes ces outils structurent l’action et les interactions et sont des auxiliaires indispensables à l’action du manager, mais si « les instruments mobilisés dans la gestion constituent un élément décisif de la structuration des situations et de leur évolution, … ils engendrent souvent mécaniquement des choix et des comportements échappant aux prises des volontés des hommes, parfois même à leur conscience ; ils conduisent ainsi les organisations dans des directions voulues parfois par personne et les rendent même rebelles aux efforts de réforme ». Typiquement, l’affirmation analytique portée par des outils de gestion concernant l’atteinte de 50 objectifs et sous-objectifs (respecter le budget et aligner le système sur la stratégie et normaliser les processus qualités et … et … et) peine à rendre compte de la réalité d’un système complexe, des effets d’interactions et d’échelle qui s’y joue. Cette vision gestionnaire est « instrumentalisée, car elle est marquée par des modes qui, toutes sans exception, sont supposées résoudre tous les problèmes, du « tout contrôle de gestion » au « tout qualité » au « tout tableaux de bord équilibrés, au « tout indicateurs ». Cette instrumentalisation fait fi des présupposés philosophiques et politiques (quelle administration veut-on ?) ainsi que des êtres humains qui la composent (quelles valeurs voulons-nous promouvoir ?) » (C. Rochet, 2011)

Les notions d’outil, dispositif, artefact, d’objet intermédiaire, … contribuent à la reformulation d'une problématique ancienne et récurrente qui est celle du statut des objets techniques, de la pragmatique de leur usage et de leur appropriation dans les activités de travail. Les activités coopératives complexes que les objets techniques permettent/supportent, exigent – au delà de leur propre technicité « neutre »  à laquelle on les réduit souvent - la prise en compte et l'interaction des dimensions ergonomiques, cognitives et plus largement anthropologiques et sociales (cf. séminaire 2 - 3 et 4 )

5. Le Nouveau Management Public ? L’idée principale de cette nouvelle doctrine est que les méthodes de management du secteur privé, supérieures à celles du secteur public, peuvent lui être transposées. Le secteur public est jugé inefficace, excessivement bureaucratique, rigide, coûteux, centré sur son propre développement, non innovant et ayant une hiérarchie trop centralisée. Dès lors, pour le perfectionner il est nécessaire d’accroître les marges de manœuvre des gestionnaires pour leur permettre de mieux répondre, au moindre coût, aux attentes des usagers. Cette conception du secteur public – et plus particulièrement de l’administration – est à l’opposée de celle de Weber pour lequel la « bureaucratie », véritable idéal type, est la condition même de l’efficacité par sa dimension rationaliste (cf. séminaire 2).

La réflexion sur les outils de gestion est importante dans le contexte des réformes et modernisations du secteur public, dans la mesure où ces changements s'appuient largement sur des instrumentations de gestion souvent issues du secteur privé. Evoquons ici, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001, dont le but principal réside dans la recherche d’un meilleur pilotage des dépenses et dans une responsabilité accrue des gestionnaires. Les budgets sont dorénavant votés par programmes basés sur des objectifs stratégiques précis (cf. le programme sport). Les gestionnaires, plus autonomes, peuvent alors, au sein d’un programme, réaffecter les crédits (principe de fongibilité) comme bon leur semble avec toutefois l’impossibilité d’augmenter les crédits consacrés au personnel. Des indicateurs de résultat et de qualité évaluent les programmes ce qui permet de justifier ou d’ajuster les sommes affectées aux différentes missions (Bien que deux fonctionnaires sur trois doutent de la pertinence des indicateurs Lolf pour évaluer la qualité de leur travail ou celui de leur service, selon une enquête Ipsos pour la Cour des comptes : http://www.acteurspublics.com/article/07-11-11/le-rejet-d...)

6. La gouvernance partagée état – fédération. Comment se comprendre et agir ensemble ? : de la convention d’objectifs à la théorie des conventions. « La convention d’objectifs, en règle générale pluriannuelle, est l’outil central du partenariat financier entre l’Etat et les fédérations sportives. Elle concrétise la volonté d’engagement du ministère chargé des sports et de ses partenaires associatifs pour une participation commune à la mission de service public de développement des activités physiques et sportives. Elle est la traduction opérationnelle et financière d’une politique sportive partenariale (fondée sur le dialogue entre deux acteurs éminents du champ sportif) et contractualisée (fondée sur des engagements réciproques, évalués chaque année). La démarche repose sur la production d’un bilan critique de l’olympiade écoulée établi par la fédération, qui permet de définir pour 4 ans une stratégie fédérale, des orientations, des priorités et des moyens. Chaque année, le respect des engagements est contrôlé et les résultats sont évalués» (source MSJS). A la différence d'un contrat, où chaque détail serait explicité, lorsqu'il y a convention, les comportements attendus n'ont pas besoin d'être connus à l'avance, écrits puis ordonnés pour être obtenus.

Les conventions utilisées dans le cadre de la compréhension du fonctionnement des organisations peuvent être appréhendées comme des cadres interprétatifs mis au point et utilisés par des acteurs hétérogènes afin de procéder à l’évaluation des situations d’action et à leur coordination. La théorie des conventions (Dupuy JP & col, 1989) - approche hétérodoxe de l'économie en dialogue étroit avec la sociologie - cherche à comprendre comment les individus confrontés à des situations marquées par l’incertitude décident du comportement qu’ils vont adopter et comment, de ces multiples décisions individuelles, se dégage une certaine convergence, un certain ajustement des comportements des uns et des autres. Cette théorisation estime en effet que pour explorer les décisions individuelles, il ne faut pas postuler chez les individus les « intérêts », les « calculs », i.e. cette « rationalité » dont on parlait plus haut. Il faut au contraire écouter, enregistrer les raisons que les individus donnent pour rendre compte de leurs actions i.e. prendre en compte les « rationalisations » des individus plutôt que de postuler la « rationalité » de leurs décisions. Les conventions offrent donc des solutions efficaces et simples à des problèmes de coordination qui sont a priori complexes. Un nouveau regard porté sur la convention d’objectifs ?

14:36 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

15/09/2011

Séminaire 6 : Le manager réflexif, la médiation et l'usage de soi

1. Faites taire les managers et leurs « coach » ! Dans un ouvrage traitant de l’anthropologie de la rhétorique managériale, Anne Both (2008) dresse un portrait sévère de la littérature managériale, de la formation initiale des managers, des consultants intervenant dans les entreprises et des normes de certification internationale. Tout ceci contribue selon elle, à la création et à la diffusion au sein des entreprises d’un jargon difficilement compréhensible par les subordonnés. Sauf à considérer que le fait d’être incompris n’est pas une forme de supériorité que le manager cultive volontairement, nous introduirons ce séminaire par une réflexion sur « la mal mesure de l’homme » (titre d’un ouvrage de S. J. Gould, 1997).

De la craniométrie et de la phrénologie du 19 ème siècle, aux tests d’intelligence du début du 20 ème siècle, à la graphologie, à  l’ennéagramme,  à la morphopsychologie, au Myers-Briggs Type Indicator, aux « brain type », à l’intelligence émotionnelle, aux « personnality assessments » de toutes sortes, aux théories implicites de la personnalité, … les « rangements » issus des sciences du comportement humain et supposés conduire au « succès », se prévalent souvent d’un grand nombre d’affirmations fallacieuses : « se connaitre » , « connaitre » les autres s’avère la quête du graal pour le manager ! Ceci montre que, sans nier l’existence de différences interindividuelles, la manière dont celles-ci sont abordées répond à une forme de construction sociale et culturelle traduisant et évoluant au gré des événements, des évolutions sociales et politiques. Nous invitons à douter des interprétations réductrices des phénomènes psychologiques recourant à une forme de substantialisation qui crédibilise un positivisme naïf de la mesure chiffrée de la personne, avant de s’interroger sur la définition et la mise en œuvre de catégories, i.e. de conventions d’équivalence socialement admises sur ce que l’on mesure et ce, en préalable aux opérations de mesure. En ne considérant que les indicateurs et les tableaux chiffrés de ces testing « sauvages », on ne considère qu’une matière « réifiée  » : la statistique « vivante et en acte » est plus attentive aux opérations de classement et de définition qui lui donnent vie.

2. Des recherches appliquées non applicables : la voie sans issue de l’universalisme ? Il est néfaste de croire que la science occidentale est entièrement objective et débarrassée des préjugés des chercheurs. Par exemple, Cyril Burt est connu pour une célèbre histoire de faux dans laquelle il affirmait avoir prouvé l’hérédité de l’intelligence en travaillant sur 56 couples de vrais jumeaux. Ce n’est qu’après sa mort que l’on découvrit que la majorité des jumeaux cités dans l’étude, n’avaient jamais existé … mais ses idées courent toujours ! J. Henrich (2010) souligne le biais expérimental - défaut méthodologique - caractérisant les publications internationales en psychologie. Celles-ci seraient réalisées à 96% par des laboratoires occidentaux, essentiellement nord-américains. Pour eux, l'individu type, servant de sujets à ces études – en général des étudiants des universités -  est de race blanche, masculin et issu d'un milieu relativement favorisé (WEIRD i.e. Western, Educated, Industrialized, Rich, and Democratic societies).

Il s'ensuit que cet individu statistiquement représentatif et donc « référence », est empreint de libéralisme et d'individualisme, valeurs autour desquelles veulent - ou prétendent - se construire les sociétés occidentales, que ce soit au plan économique ou au plan de l'organisation sociale et du travail. Par sociétés occidentales, on se réfère aux sociétés anglo-saxonnes, mais aussi aux sociétés européennes très dominées par les normes de cette culture. Cette dépendance nous rend aveugle à la façon dont plusieurs milliards d'humains n'étant pas ressortissants de ces sociétés occidentales se construisent effectivement et abordent les relations interhumaines (cf. http://preparation-mentale-pfleurance.hautetfort.com/inde... - http://gestion-des-risques-interculturels.com/risques/l%E... - http://www.archipress.org/reda/index.phpoption=com_conten... 

3. L’étude de « la » personnalité : des controverses anciennes non éteintes ? La psychologie des traits est fondée sur l'idée qu'il existe chez les gens des caractéristiques relativement stables qui influencent de façon particulière leurs comportements et leurs expériences. Les notions de dimensions, de traits, de types, de dispositions - dans leur diversité - apparaissent comme descripteur de la « cohérence » relative de la conduite des individus. La proposition intégrative - de nature méthodologique et non théorique - des différents inventaires conduit à un outil - Five Factor Model ou Big Five – qui propose de résumer la sphère de la personnalité en 5 dimensions (névrosisme, extraversion, ouverture à l’expérience, agréabilité, caractère consciencieux (et 6 facettes à l’intérieur de ces 5 dimensions). A contrario, un modèle situationniste met en cause  la  valeur significative du trait de personnalité pour réaliser des prédictions comportementales en montrant une grande variabilité du comportement des personnes en différentes situations. Il considère que ce sont les facteurs situationnels (c'est à dire les événements, les conditions environnementales, le contexte) qui déterminent pour l’essentiel, la conduite.

Controverses anthropologiques, idéologiques, paradigmatiques, méthodologiques, statistiques, … ! Actuellement une conception interactionniste et dynamique de la personnalité valorise un modèle de causalité bidirectionnelle (c'est à dire réciproque et non simplement unidirectionnel) : le sujet agit sur l'environnement qui lui-même agit à son tour et le régule. L'hypothèse relative à des co-fonctionnements entre systèmes laisse entrevoir des conceptions de la personnalité intégratives incluant les divers facteurs en interaction : facteurs environnementaux ou situationnels, facteurs biologiques, facteurs psychologiques. Il apparaît alors difficile de saisir dans ces boucles de processus complexes d'actions, d'interactions, de rétroactions si la personnalité est cause ou résultat de l'adaptation. Faute d'interrogations sur leurs outils théoriques, les chercheurs considèrent très majoritairement que les situations qu'ils analysent sont stables, prévisibles, sous l'effet de tendances structurelles ou de l’engagement des acteurs. Recherchant surtout des causalités et des régularités, ces approches ne disposent pas de concepts permettant de donner du sens à des situations d'instabilité, de contingence et de récursivité.

4. Des interactions stratégiques en situation d’observabilité imparfaite : faut-il optimiser à court terme en exploitant la meilleure solution connue ou optimiser à long terme en explorant davantage les solutions mal connues pour réviser ses croyances à leur propos ? C’est le dilemme exploration/exploitation présent dans toutes les situations d’incertitude qui est l’objet de la théorie des jeux. Une théorie générale des interactions/interdépendances stratégiques qui avance - modélise -  que les conséquences de ce qu’un agent fait dépendent de ce que font les autres agents prenant part à l’interaction. Le dilemme itéré du prisonnier (cf. sur ce blog la fiche de lecture sur l’ouvrage d’Axelrod, 1984) est un jeu simultané, symétrique, à deux joueurs, à somme non nulle, non coopératif où chaque joueur doit choisir une parmi deux cartes : la coopération et la trahison. Il y a dilemme car l’intérêt individuel (la rationalité au sens économique) rapporte moins que l’intérêt collectif. Dans une perspective plus écologique, c’est la version itérée de ce jeu que nous mettons en avant, i.e. les joueurs se rencontrent un certain nombre de fois - les joueurs ne connaissent pas le terme du jeu – le score des joueurs est la somme des scores de chaque rencontre. A chaque étape un joueur sait ce que son adversaire a joué dans les coups précédents : les croyances d’un joueur sur les conséquences de ses actions se modifient au fil des messages de l’environnement produit par chaque occurrence du jeu.

Lorsque ce dilemme est répété plusieurs fois avec les mêmes adversaires, plusieurs stratégies peuvent être alors imaginées i.e. Gentille : on coopère toujours ; Méchante : on trahit toujours ;  Lunatique : coopération ou trahison est choisi au hasard ; Donnant-donnant : on coopère la première fois, puis on joue ce que l'adversaire a joué au coup précédent ; Rancunier : si l'adversaire a trahit au moins une fois dans les coups précédent, alors on trahira toujours, sinon on coopère ; Périodique méchant : quelque soit le jeu de l'adversaire, on coopère une fois puis on trahit deux fois ; Périodique gentil : idem mais une trahison suivie de deux coopérations, Majorité-mou : on joue le jeu de l'adversaire qui a été le plus présent au cours des jeux précédents, et la coopération en cas d'égalité ; Méfiant : trahison au début, puis donnant-donnant ; Majorité-dur : idem majorité-mou sauf trahison en cas d'égalité ; Sondeur : trahison suivie de deux coopérations pour les trois premiers coups, puis si l'adversaire a coopéré aux coups 2 et 3 alors on trahit toujours, sinon donnant-donnant ; Donnant-donnant dur : coopération sauf si l'adversaire a trahit lors de l'un des deux coups précédent et évidemment on aimerait trouver une stratégie minimisant le coût au cours des itérations et permettant la viabilité de l’interaction. Au final Axelrod avance – démontre - quatre critères optimaux pour une stratégie de coopération en évolution : – bienveillance – réactivité – indulgence – simplicité (clarté du comportement)

5. L’homme pluriel ? (titre d’un ouvrage de B. Lahire, 1998) : « c'est un homme qui n'a pas toujours vécu à l'intérieur d'un seul et unique univers socialisateur, qui a donc traversé et fréquenté plus ou moins durablement des espaces, des matrices, de socialisation différents et même parfois socialement vécus comme hautement contradictoires. L'homme pluriel est donc porteur de dispositions, d'abrégés d'expériences multiples et pas forcément toujours compatibles ... Il doit pourtant faire avec. Cette situation peut lui poser un grave problème si des dispositions viennent se contredire dans l'action. Elle peut aussi être inaperçue par l'acteur lui-même si, comme c'est très fréquemment le cas, les dispositions ne s'activent que dans des contextes ou des domaines de pratiques limités et séparés les uns des autres (développement professionnel vs développement personnel ?). L'homme pluriel, c'est l'homme dont l'ensemble des pratiques est irréductible à une formule génératrice ou à un principe générateur ». La mise en question de l’idée d’une constance, d’une stabilité du monde et d’un moi dans ce monde, incite à rechercher cette permanence - non dans un monde ou dans l’invariance d’un moi transcendant les situations, qui seraient toujours « déjà-là » - mais dans le couplage et l’adaptation dans l’action (Maturana et Varela, 1994, Varela, 2002), qui s’appuyant sur de « nouveaux » arguments en faveur de la primauté de l’agi, de la dimension incarnée et située de l'expérience vécue, affirme  une relation dynamique, un couplage opérationnel qui fait émerger,  « énacter » des micro-identités avec leurs micromondes correspondants.

Dans cette perspective de la complexité, Simondon (1964 – 1989) nous invite à penser « l’individuation » dans le contexte des interdépendances et des dynamiques de la relation de l’homme aux techniques et au monde social. De manière inverse aux approches – citées précédemment - qui s'intéressent à l'individu constitué, qu'elles considèrent comme achevé (i.e. stable), c'est à partir de l'individu que Simondon étudie l'individuation : « Il faut opérer un retournement dans la  recherche du principe d'individuation, en considérant comme primordial l'opération d'individuation à  partir de laquelle l'individu vient à  exister et dont il reflète le déroulement, le régime, et enfin les modalités dans ses caractères ». Il faut supposer pour cela que l'individuation ne produit pas seulement l'individu, mais le couple individu - milieu. Puisque l'individuation est le lieu d'une invention, il faut « essayer de connaître l'individu à  travers l'individuation plutôt que l'individuation à partir de l'individu ». Accorder un rôle privilégié à l'individuation, c'est aussi considérer de manière nouvelle le devenir de l'individu : il n'est plus altération d'un être achevé, mais il est le mode même de l'être humain en société. Pour Simondon, il n’y a pas d’individu achevé possible, ni d’individualité, ni même d’individualisation, il n’y a que des  organismes en individuation, i.e. en opération constante de s’individuer. Ceci est une question cruciale qui positionne différemment la vision relative aux notions d’identité personnelle, de management et de formation professionnelle/personnelle : ces questions ne sont pas abordées sous l’hypothèse d’une stabilité, d’une permanence personnelle et dispositionnelle mais à partir de ce paradoxe d’une identité (ou d’identités) personnelle(s) construite(s) à travers la multiplicité des expériences et des situations. Au delà de l’incitation à « la contemplation interminable du soi », il en va alors, de la responsabilité du manager que de construire/organiser/dynamiser/permettre une multiplicité d’expériences et de situations pour ses collaborateurs (cf. par exemple, sur ce blog la conférence « manager la créativité » de Thomas Paris). Pauvre manager qui ne serait qu’un psy ! (cf. sur ce blog le texte de C. Rochet)

6. L’enfance d’un chef ? En mettant en avant l’ouvrage de J. P. Sartre (1939) qui montre – en référence à sa philosophie existentialiste - les difficultés et les contingences de la construction d’un « chef », nous incitons à discuter l’idée de « carrière » comme progression linéaire et hiérarchique : le développement des compétences et de soi, n'apparait plus comme un processus linéaire résultant d’un accroissement quantitatif, mais se produit plutôt sur un mode discontinu, chaotique et relativement imprévisible. C’est donc le côté « subjectif » reflétant la signification que les individus attribuent à leurs propres situations, à l'interprétation de leurs expériences personnelles et professionnelles, à la compréhension de l’évolution de leurs contextes de travail voire de leur propre vie, qui devient une ressource pour l’engagement vers le managérat.

Nous nous appuyons sur J. G. March (et T. Weill, 2003) qui affirme que les problèmes du leader sont les problèmes fondamentaux de la vie et que ceux-ci sont mieux traités dans la grande littérature (dans cet ouvrage Othello, Guerre et Paix, Don Quichotte, …). Cela  lui permet d’évoquer « les limites du paradigme rationnel, de l'organisation hiérarchique face à un univers complexe, de l'efficacité de l'histoire pour faire émerger les formes d'organisation les plus adaptées et les leaders les plus talentueux, de l'importance du leader individuel pour expliquer le destin de l'organisation, de l'apprentissage dans un monde ambigu. On y discute des difficiles compromis entre exploitation et exploration, du besoin de stimuler et de protéger ceux qui prennent des risques pour explorer des voies a priori improbables avec une persistance suffisante, du rôle des institutions pour éviter les inconvénients d'un monde d'opportunistes individualistes et myopes ». Surtout, March traite de la construction d'une identité individuelle et collective, de la découverte de nouvelles préférences dans l'action. Le leader s'affirme comme tel en découvrant, en exprimant et en faisant partager à ceux qui le rejoignent une interprétation plus riche du monde, une identité plus attrayante.

7. Réflexivité ou interprétation située ? La littérature « praxéologique » pose la réflexivité comme caractéristique du développement de l'agir professionnel (Schön, 1994 ; Argyris, 1995) : ce rapport réflexif au monde fonde la perspective visant le mieux, l'efficace, l'efficient, l'explicite dans l'action professionnelle. Ces auteurs et ceux qui s’en réclament par la suite, pose la réflexivité comme une activité de « connaissance » de l’acteur professionnel produisant discours et représentations de soi en contexte fondé sur l'introspection, sur l'explicitation existentielle de l'implicite dans l'action. La réflexivité en grande partie langagière, relationnelle dans le cadre d'une relation aux personnes et aux artefacts méthodologiques, permet alors à des professions n'ayant que peu de référents indiscutables (manager, entraineur, …), de « valider » leurs actions par une efficacité proclamée du point de vue de l'acteur.

Cependant, l'action humaine se compose de différents niveaux irréductibles les uns aux autres : le niveau irréfléchi i.e. le tacite, l'incorporé, le rapport pratique au monde ;  le niveau réfléchi i.e. le discursif, la mobilisation de la pensée sur un objet ; le niveau réflexif : l'objet de la réflexion est soi en action. L’argument critique essentiel consiste à dénoncer la centration exclusive de l'agir professionnel sur le niveau réflexif qui constitue alors une réduction importante de l'action professionnelle à la dimension de production discursive du rapport de l’acteur au monde tel qu’il le  perçoit. S'il n'est pas question ici de nier la pertinence de cette focalisation réflexive sur son action, il semble essentiel de rappeler la réduction opérée, délaissant le plan « irréfléchi » i.e. les pratiques en elles mêmes situées, incorporées, interactives et traduisant le processus dynamique de transformation permanente du couplage acteur – environnement.

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15/05/2011

Séminaire 5 : Apprendre à oser, à utiliser les opportunités et à avoir de la chance

1. Dans des mondes concurrentiels où ce qui est impossible pour les uns apparait possible pour les autres, il devient utile d’apprendre à travailler à créer des environnements favorables susceptibles d’ouvrir des opportunités : « l’inconcevable » implique la sortie radicale de nos systèmes de représentation. Voici donc quelques arguments pour étayer, mettre en scène la thématique du séminaire et au final construire une posture qui envisage une nouvelle façon de percevoir la « réalité ».

2. N’est pas prince de Serendip qui veut ! « Les trois fils du roi de Serendip (mot du perse ancien pour Sri - Lanka) partirent à pied pour voir des pays différents et bien des choses merveilleuses dans le monde. Un jour, ils passèrent sur les traces d'un chameau. L'aîné observa que l'herbe à gauche de la trace était broutée mais que l'herbe de l'autre côté ne l'était pas. Il en conclut que le chameau ne voyait pas de l'œil droit. Le cadet remarqua sur le bord gauche du chemin des morceaux d'herbes mâchées de la taille d'une dent de chameau. Il réalisa alors que le chameau pouvait avoir perdu une dent. Du fait que les traces d'un pied de chameau étaient moins marquées dans le sol, le benjamin inféra que le chameau boitait etc. Les trois frères rencontrèrent ensuite un conducteur de chameau qui avait perdu son animal. Comme ils avaient déjà relevé beaucoup d'indices, ils lancèrent comme boutade au chamelier qu'ils avaient vu son chameau et, pour crédibiliser leur blague, ils énumérèrent les sept signes qui caractérisaient le chameau. Les caractéristiques s'avérèrent toutes justes. Accusés de vol, les trois frères furent jetés en prison. Ce ne fut qu'après que le chameau fut retrouvé sain et sauf par un villageois, qu'ils furent libérés ». (cf. la suite sur le site www.automates-intelligents.com ). On cite souvent l’anecdote du chameau perdu pour illustrer la sérendipité, sans doute parce qu’elle figure au début de «  Zadig », le conte de Voltaire qui l’a rendue célèbre. La sérendipité est une quête active qui facilite les rencontres, même si elle n’a pas de but connu, et non une attente passive devant l’inconnu. La curiosité, état de désir et de vigilance, est en effet l’une des meilleures dispositions pour que naissent les rencontres et découvertes heureuses : elle fournit la capacité à provoquer et entendre le hasard ...

3. L’intelligence rusée ? Les Grecs n'ont pas manqué d'observer que l'action impliquait une attitude d'esprit particulière, que la pratique finalisée, le « faire » affronté à des obstacles qu'il fallait surmonter pour réaliser un projet - cela peut être une vision de la stratégie - supposait un certain type d'intelligence des choses. La pragmatique de la mètis grecque commande les actions pratiques, c'est-à-dire — à la lecture de Détienne et Vernant (1974) — l'art pratique des conjectures et des contextes, i.e. une intelligence qui procède par détours, sensible aux réalités concrètes, aux expériences, mettant à l'ouvrage des ressources et des compétences d'habiletés, d'adresse — y compris celle de la ruse — pour construire et pour conduire la production de l'action efficace/efficiente. Ayant pour application le monde du mouvant, des réalités fluides qui ne cessent jamais de se modifier et qui réunissent en elles mêmes à chaque moment, de l’ambigu, des forces opposées, des aspects contraires, la mètis apparait « multiple, bigarrée, ondoyante ». Engagée dans le devenir et l’action, cette forme d’intelligence est depuis longtemps refoulée dans l’ombre du « non savoir » : l'action n'a pas été reconnue, aussi naturellement qu'on pourrait le croire, comme un objet de raison. Tout s'est passé comme si, dans notre espace culturel originel, la quête de la connaissance avait, en s'attaquant à l'objet « action », butée, dès l'origine et pour longtemps, contre un obstacle épistémologique : celui que constituent, pour l'entendement et le jugement, l'instabilité de ses déterminations et de ses attributs, sa nature foncièrement contingente et la singularité des processus cognitifs requis par un « faire » toujours « local ». Obstacle épistémologique pour une volonté de connaissance rationnelle qui percevait l'objet action comme ressortissant de « la technique » et/ou de « l'art », alors qu'elle privilégiait l'approche « scientifique », i.e. la quête du général sous le particulier, des essences sous les événements, et poursuivait le dévoilement des régularités cachées sous les variations des phénomènes. A l’inverse donc, le manager ne serait-il pas cet être ingénieux (au sens de l’ingénium de Vico cf. www.intelligence-complexite.org) qui, doué d’intelligence rusée, mélange action et réflexion, dire et faire, conception et production, langage et technique et qui comme au jeu de go, contrôle le plus d’espace possible en construisant des réseaux et étendant par un enchevêtrement de plus en plus serré son influence ? 

4. S'appuyant sur la propension : ne rien faire ... et que rien ne soit pas fait ? L'occasion serait, chez les Grecs, le moment favorable offert par le hasard et que l'art permettrait d'exploiter afin d'insérer l'action dans le cours des choses. En Chine, selon François Jullien (1996 ; 2009) le moment opportun correspond à celui où le maximum de potentiel est accumulé - donc où l'efficacité est à son point culminant - faisant de l'occasion le moment le plus adéquat pour intervenir au cours du processus engagé. « Dans l'optique de la transformation, l'occasion n'est plus que l'aboutissement d'un déroulement, et la durée l'a préparée ». Elle n'est donc pas le fruit du hasard, mais d'une évolution, qui laisse entrevoir en réalité non pas un, mais deux instants cruciaux. Le second, terminal, est celui où l'on tombe sur « l'ennemi » avec un maximum d'efficacité. Le premier, initial et peu perceptible, est pourtant le plus décisif car c'est de lui que débute la capacité d'effet et que découle l'occasion finale. Tout le travail du sage et du stratège consiste donc à scruter ce moment discriminant des plus imperceptibles : le stratège chinois cherche à détecter au plus tôt les moindres tendances susceptibles d'être déployées - chez soi ou chez l'adversaire -, avant même qu'elles aient eu le temps de manifester leurs effets. La faille étant inscrite dans l'ordre des choses, il suffit de savoir attendre le moment opportun, chose d'autant plus facile que ceci n'est guidé par aucun dessein projeté.La pensée chinoise est attentive à ce que nous appellerions la « logique de situation », i.e. le potentiel résultant de la disposition des choses existantes. De ce point de vue l’action du héros (don Quichotte ?), qui s’affronte à l’état des choses existant, est non seulement stérile mais incompréhensible. L’action ne peut être efficace que si elle exploite le potentiel que comporte la situation. Pour activer ce potentiel il faut savoir repérer parmi les tendances qui, commençant à germer, n’appartiennent pas encore à l’état des choses existant, celles qu’il convient d’encourager ou de décourager : le jardinier ne soigne-t-il pas les plantes utiles et ne déracine-t-il pas les pousses des mauvaises herbes ?

5. Situation – corporéité – socialité : la créativité de l’agir ? Discutant les dichotomies cartésiennes entre l’esprit et le corps, entre le moi et le monde, parce qu’elles dissocient la connaissance de l’action, Hans Joas (1999) cherche le moyen de rompre avec ces dualismes qui mettent en évidence la position marginale de l'idée de créativité dans la tradition de la théorie sociologique de l'action.Joas part d’un constat simple: il existe deux modèles dominants de l’action, le modèle rationnel et le modèle normatif (cf. ci-dessous). Ces deux modèles sont importants et ont beaucoup contribué à la sociologie et à l’économie, mais pour Joas, il faut développer un modèle moins conventionnel, moins limité, plus subjectif, qui échappe à un cadrage théorique trop strict: c’est ce qu’il va appeler le modèle de l’agir créatif qui l’amène à affirmer qu’on ne « dépassera le schéma de la fin et des moyens qu’en mettant en évidence […] le rapport de médiation pratique entre l’homme comme organisme vivant et les situations dans lesquelles il se trouve pris ».

6. Rationalité et/ou opportunisme cognitif ? Le sujet en situation est tributaire d’un champ de contraintes et/ou de ressources qui – selon sa vision des choses - organisent sa marge d’action ... mais il n’est jamais entièrement déterminé mécaniquement/causalement par ce champ car il dispose toujours d’une capacité d’initiative susceptible de faire émerger de la nouveauté : sa liberté/nécessité de renormalisation en actes. En fait, l’action pratique n’est pas organisée en suivant un plan préétabli - généralement de façon rationnelle et linéaire à partir d’une simplification excessive du réel (cf. séminaire 1) - mais s’ajuste sans cesse aux circonstances et au contexte en reconfigurant dans le cours du travail les règles, les normes antécédentes à l’action.C'est la question de la norme, des règles pour l'activité et de la renormalisation en actes et en situation qui est ici, posée (cf. Séminaire 4 : Manager dans la contingence ?). Ainsi, posant l’opportunisme comme une conduite consistant à tirer le meilleur parti des circonstances, même si cela doit se faire à l’encontre des règles établies ... l’opportunisme cognitif se fonde comme devenir d’une « représentation » dès lors qu’un système est vu comme autonome : les paradigmes cognitifs alternatifs s’appuient sur le renouveau d’un courant philosophique fondamentalement non dualiste qui conçoit la cognition comme incarnée dans le sens où elle est située dans le temps et dans l’espace, dans la rencontre vivante, en temps réel, entre un corps et son environnement ; nous faisons advenir le monde dans lequel nous vivons ! (Merleau-Ponty, 1942 ; Varela et al., 1993)  - cf. Séminaire 2 Le manager créateur de son monde propre et le blog dédié à ces questions : http://preparation-mentale-pfleurance.hautetfort.com)

7. Créer avec les acteurs, parties prenantes ? On peut montrer des solutions, faire des enquêtes et/ou des études, s’interroger sur les besoins des acteurs, amener des réponses toutes faites, prescrire des bonnes pratiques, etc. ... La mise en acte et l’innovation ne sont cependant pas garanties : le plus important est de changer la culture, i.e. le processus par lequel nous faisons les choses. Souvent, le manager et/ou les consultants experts croient connaitre le problème et sont certains de savoir le résoudre, mieux que quiconque : il faut - en fait - modestement accepter de prendre du recul, car souvent le problème n’est pas celui que les experts pensent. Le changement est tout autant initié et porté par les acteurs au sein de leurs propres milieux de travail, que suscité par le processus d'invention de nouveautés techniques et conceptuelles. Dans la stratégie de conception/action distribuée de « management 2.0 » que nous avançons, le fait de développer des actions en collaboration active avec les parties prenantes, définie la créativité : i.e. c’est produire quelque chose de différent au sein des collectifs impliqués.Parallèlement au défi cognitif de la créativité, émerge donc un défi managérial. On ne peut certes programmer la création ni l’invention, mais on peut augmenter la fécondité de la sérendipité : comment former ses collaborateurs à cette attitude ? Comment s’organiser pour « capter » leur imaginaire et leur créativité ? Les réponses à ces questions sont bien l'objet de ce cinquième séminaire.

 

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15/04/2011

Séminaire 4 : Manager dans la contingence au sein d'un collectif hétérogène ?

1. Comment les activités et les connaissances explicites possédées individuellement par les agents permettent-elles l’efficience collective et adaptative de l’organisation ? Avoir un point de vue sur les connaissances/compétences « objectivables » des acteurs mais aussi sur celles « moins objectivables » est une nécessité pour le manager afin de créer les conditions du développement de l’organisation, en favorisant les cycles d’apprentissages collectifs, permettant la régénération simultanée des savoirs, des artefacts supportant le travail et des métiers. L’incertain modèle de collaboration dans les organisations appelle une réflexion sur les savoirs circulants dans celles-ci, sur les modes d'interaction et de communication et au final sur le mode management.

       La conception « rhizome » de cette formation renvoi au séminaire 2 ou l’on a cherché à argumenter l’idée de « monde propre » du manager : les objets, les connaissances, les institutions, les contraintes extérieures aux personnes sont pris en compte, non pas en tant que tels comme données objectives à priori, mais tels qu’ils sont identifiés et/ou engagés dans l’action, dans la façon dont les acteurs repèrent, ont recours, s’approprient, prennent appui sur, ou se heurtent à eux. 

2. Echapper à une vision statique des savoirs ? Dans une logique classique dite « adéquationniste » entre formation et emploi, la formation aux différents métiers nécessaires à l’efficience des organisations sportives est envisagée à partir de référentiels de compétences permettant une gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GEPEC). La rédaction de ces fiches « métiers » est accomplie par des observateurs externes mobilisant quelques professionnels qui s’efforcent de synthétiser le contenu de leur activité et les compétences qu’elle requiert. Du fait de la méthode, les informations collectées sont envisagées à un « méta–niveau » et supposent un métier stabilisé qui s’effectuerait sans difficultés particulières, dans un contexte inaltéré oubliant ainsi les dimensions interactives et co-évolutives entre exigences du métier et activités en contexte. Cette configuration rationaliste qui conduit à ce qui est qualifié de bureaucratie professionnelle (Mintzberg) place la standardisation des compétences « substantialisée » et « individualisée » au cœur du système de fonctionnement et de management : la division du travail coïncide avec la division de la connaissance/compétence. L’articulation et la coordination entre les processus métiers apparait simple et transparente pour le manager puisqu’elle est assurée à la fois par l’organigramme hiérarchique et par des rapports de type « taylorien » entre métiers et en particulier, entre ce qu'ils peuvent - à priori - espérer les uns et les autres comme cohérences issues de leur « cœur de métier ». La question des interactions « individuel - collectif » et/ou « micro - macro » est exclue, faute des moyens conceptuels qui permettent d'en poser, puis d'en explorer l'hypothèse : une théorisation pauvre pour une visée pratique ambitieuse : contrôler l’action collective !

A contrario, les différentes études sur l’analyse des activités professionnelles que nous avons effectuées amènent à mettre en avant : i) une vision des activités des professionnels comme constructeurs de savoirs collaboratifs et créatifs. Pas seulement des détenteurs de savoir individuel comme « expert technique », mais des constructeurs... tant il est vrai que leur savoir se construit au jour le jour en des lieux multiples avec des acteurs hétérogènes dont les buts peuvent être divergeants ; ii) des événements qui ne cadrent plus avec les grilles d’analyse/catégories habituelles – ambiguïté, incertitude, caractère hybride des problèmes… font sortir des épures classiques de l’analyse du travail organisée autour des concepts simplificateurs de « tâche prescrite » et de « résolution de problème » - problème qui se pose plutôt comme « ill-structured situation » ; iii) une multiplication des intervenants et d’interlocuteurs hétérogènes, qui fait exploser les cartographies habituelles d’acteurs (la relation entre pairs, la voie hiérarchique, l’espace/temps du « service », …) ; iv) des problèmes critiques de communication et d’interaction, qui introduisent une dimension nouvelle dans les logiques opérationnelles et décisionnelles de référence principalement axée sur l’expertise technique ; v) des enjeux qui dépassent le seul problème de la qualité technique des solutions apportées et qui posent des problèmes relationnels, décisionnels, politiques parfois délicats mais toujours présents. Nos travaux ont montré que la connaissance organisationnelle n'est pas homogène mais est fondamentalement hétérogène : les organisations sont des « processeurs » de différents modes de connaissances (techniques, traditionnels, scientifiques, expérience, …) en tant que lieu de construction, de sélection, d’agrégation, d'utilisation, et de développement de connaissances pertinentes en regard du chemin parcouru (path dependancy) et des buts poursuivis.

3. Nous avons hérité d'une tradition culturelle occidentale « de biais fondamental d'attribution » qui consiste à sous-estimer les causes situationnelles au profit de causes personnalistes : surmonter la  vision commune qui laisse entendre que la connaissance est purement individuelle ? La « connaissance objective » existe-t-elle ? Cette question surgit quand la signification attribuée au terme « connaissance » se rapporte à une entité qui pourrait exister indépendamment de la présence d'un acteur professionnel qui sait et qui agit sur/avec cet objet de connaissance. Cette situation se produira si l’on conçoit le phénomène de « transmission de connaissance » en distinguant i) l'étape de « production de la connaissance » ; ii) l’étape du « stockage de la connaissance », iii) de plus forcément « codé » sur un support physique statique employé alors comme moyen de « transport » (livre, cours, CD, FOAD, …) ; iv) la « réception » de cette connaissance par un individu et v) l’éventuel usage de cette connaissance en la transformant alors en « procédures ». Cette vision de la connaissance suppose l'existence d'un « producteur », et d'un « procédé de production », mais également d'un « consommateur » : le statut de la dite « connaissance » est celui d'un objet physique, d’une substance échangeable, simple stock résultant de l'accumulation de flux d'information. « La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est qu’information » ! (A. Einstein)

Où sont donc les lieux de savoirs ? Séparation conception - exécution, mise à distance du sujet connaissant/agissant issue d’une « objectivation » de l’activité humaine pour en faire un objet de science normé, quantifiable, substituable par une machine informatique « experte » - réduction de la pensée à des modèles logiques, symboliques et computationnaliste - universalisme, oubli de l’expérience vécue, du contexte, de la dynamique temporelle, … une idée centrale qui se dégage des travaux sur « l’interactivité situationnelle » est la nécessité de dépasser la limitation des connaissances organisationnelles « possédées » par les agents en référence à une « épistémologie de possession » du knowledge (bord, limite) pour l’étendre à une « épistémologie de la pratique » (knowing, forme grammaticale qui en anglais, marque l’action « chemin faisant »). Nous allons argumenter pour que le manager prenne de la distance avec les notions « d’économie de la connaissance » ou de « société de l’information », dont le discours commun tend à faire un usage immodéré. Face à un savoir conçu comme quantifiable, mesurable, stockable et … vendable qu’impliquent ces expressions, nous allons réhabiliter – certes en dialogie avec les conceptions précédentes - les vertus des connaissances, intuitives, artisanales, pratiques, relationnelles, esthétiques, ancrées corporellement, … c'est-à-dire des connaissances énactives (de l’anglais to enact : susciter, faire advenir, faire émerger), qui laissent apparaitre que la cognition « embodied », loin d’être la représentation « mentale » d’un monde prédonné, est l’avènement conjoint d’un monde et d’un esprit à partir de l’histoire des diverses actions qu’accomplit un être dans le monde (F. Varela). Notre intention est de montrer que l’on peut aller au-delà du clivage ou du « grand partage » entre les savoir-faire manuels/corporels et les savoirs abstraits, en montrant comment la pensée et l’action, l’immatériel et le matériel, l’intellect et les gestes techniques/artistiques sont étroitement entrelacés dans la vie humaine : les savoirs n’existent pas indépendamment des hommes et des femmes qui les reçoivent, les construisent, les portent et les font circuler dans des espaces – temps tramés d’interactions entre humains et médiées par des artefacts.

4. Nos études sur l’activité du manager montre que la « fameuse » communauté de pratique (Wenger) n’est pas établie à priori et est à repenser dans un contexte « local – national » élargi : la référence à l’orchestration d’une performance/action collaborative, distribuée et partiellement improvisée entre des acteurs ou des systèmes d’activités, implique une forme d’activité qui requiert la contribution active de combinaisons de personnes et d’artefacts en reconfiguration constante, œuvrant au gré de trajectoires temporelles étendues, et distribuées dans l’espace. Les managers doivent agencer un nombre croissant de canaux et de dispositifs de communication, en face en face et à distance, de manière synchrone et asynchrone s’adressant à des individus et/ou des collectifs. Nous relevons ainsi la part croissante de la communication (des savoirs, des événements, des compte - rendu d’expérience, …) qui est au cœur des mutations du travail contemporain. Si l’on admet que les connaissances/compétences sont les matières premières sur lesquels se fondent l’action du manager, alors les conditions de leur élucidation, de leur circulation, de leur appropriation et de leur partage deviennent cruciales.

Les savoirs, les connaissances, …: des biens de ressources communes, « commons » (E. Ostrom), de l’organisation et/ou de la communauté ? Une stratégie de management 2.0, qui cherche à développer les savoirs circulants dans l’organisation, nécessite de penser les « commons » de l’association à la fois comme statut alternatif à la privatisation du savoir et comme mode de gouvernance par une communauté : ceci implique de remettre en cause i) un modèle juridique, celui du mythe de la « propriété absolue » qui ne conçoit le rapport des hommes aux « biens » que sur le modèle de la propriété unilatérale ; ii) un modèle scientifique, qui conçoit les phénomènes de manière statique et abstraite, les communautés « locales et singulières » comme des ennemies de l’universalisme et ignore les savoirs pratiques ; iii) un modèle économique qui mesure la performance exclusivement à la quantité des choses matérielles produites et à leur valeur monétaire, sans tenir compte de l’impact de leur production ni du process collaboratif conduisant à celle-ci (cf. séminaire 7 … à venir).

5. De la rationalité déductive et formellement rationnelle - « substantive » - à la rationalité procédurale ou « rationalité pratique » ? H.A. Simon développe la distinction entre ces deux formes de rationalité, la rationalité « substantive » qui se caractérise aisément par l’image du « calcul » de la décision optimale et la rationalité procédurale par l’exercice d’une « délibération appropriée ». Chaque fois que nous envisageons le comportement humain et en particulier ses décisions, sous l'angle de l'action finalisée, nous référons au principe de rationalité en rejetant les hypothèses diverses du hasard absolu, du conditionnement rigide, de la décision « illogique » et du désordre des idées. Ce modèle s’appuie sur une vision économique de la rationalité et suppose que les décisions sont prises sur les bases suivantes : i) des buts et des objectifs bien définis et acceptés – ii) un examen des alternatives et de leurs conséquences – iii) des informations complètes concernant les points sur lesquels il faut prendre une décision ; iv) la décision est d’autant plus efficace qu’elle utilise au mieux les informations disponibles. La meilleure solution est celle qui permet d’atteindre l’objectif et de maximiser sa satisfaction (l’utilité) en utilisant au mieux ses ressources.  Le résultat n’est pas assuré et trois grands scénarios conduisent à des décisions absurdes : les erreurs de raisonnement ; les mécanismes collectifs ; la perte de sens (C. Morel).

Pourquoi est-il impossible d’avoir une rationalité « parfaite », c’est-à-dire une rationalité où les moyens sont en parfaite adéquation avec leurs fins et permettent de choisir l’action la plus efficace compte tenu des contraintes en ressources ? L’analyse de la rationalité à partir des procédures s’oppose explicitement à la rationalité telle qu’elle est définie par les tenants de l’économie néo-classique. Le modèle de la rationalité procédurale ou « rationalité pratique » part du principe qu’il est impossible aux acteurs de maximiser leur « utilité » car il est difficile de traiter l’incertitude dans un environnement dynamique : i) ’information disponible est imparfaite – ii) les acteurs ont des capacités cognitives limitées – iii) les acteurs sont en situations d’interdépendance – iv) les acteurs participant au process de décision sont multiples. Ainsi la décision ne sera pas « parfaite » elle sera « satisfaisante » (satisficing) : « un agent recherche non pas l’action qui donne le meilleur résultat dans des conditions données, mais une action qui conduit à un résultat jugé satisfaisant relativement à un certain niveau d’aspiration ». (H. A. Simon). La compréhension des mécanismes de la prise de décision relève de la science de l’artificiel : les objets construits par l’homme, parce qu’ils sont créés pour répondre à un besoin à un moment donné ont un caractère contingent - artificiel - et traduit le refus de Simon de traiter les sciences humaines et sociales sur le modèle exclusif des sciences naturelles, i.e. celui de la soumission à des lois naturelles, c’est-à-dire à un modèle de la « nécessité » (M. J. Avenier).

6. Au centre de ces réflexions organisationnelles, se place la notion de « communauté », vue ici essentiellement comme lieu d’accomplissement des pratiques intersubjectives et sociales. L’arrière-plan épistémologique que l’on peut qualifier de « pragmatique » est appuyé sur une méthodologie « d’enquête » (J. Dewey) fondée sur une anthropologie, une clinique des flux de connaissances dans les organisations et trouve ses racines dans le pragmatisme américain, le constructivisme radical, l’énaction, l’action située, le socio-culturalisme et le mouvement des Science Studies : un ensemble de travaux qui considère les processus cognitifs comme étant avant tout des pratiques inscrites socialement plutôt que des processus intracrâniens - « solipsiste » - de traitement de l’information, parangon du cognitivisme « classique ».

Ce changement de perspective qui distingue la complexité de premier ordre i.e. complexité de l’objet et la complexité de second ordre i.e. complexité liée au regard de l’observateur (Le Moigne), nous permet d’envisager la convergence entre les théorisations de l’activité, celles de la cognition/action située et les conceptions des systèmes complexes adaptatifs.

7. En quoi peut-on qualifier de complexe l’environnement des projets d’action du manager ? Notre réflexion inscrite dans le contexte épistémologique pluridisciplinaire des sciences de la complexité actent que l’action en contexte naturel mobilise i) des acteurs hétérogènes qui fonctionnent avec des règles qu’ils doivent reconfigurer à partir d’informations parcellaires, incomplètes au regard de la dynamique du système « sport » et de la dynamique de ses agents ; ii) ces acteurs en interaction au niveau micro font émerger des formes d’organisations fonctionnelles à un niveau supérieur au niveau macro, qui modifie en retour les potentialités d’action des agents (récursivité) au niveau micro ; iii) des champs d'action limités ; des contrôles répartis et distribués ; des données décentralisées ; des traitements synchrones et asynchrones ; des dynamiques en interaction ; des incertitudes ; … Et au final le manager œuvre dans un contexte de décisions/actions multiacteurs, multidimensionnels, multicritères, multi échelles.

Dans ces environnements ouverts et instables, impliquant l'existence au sein même des process à contrôler de logiques divergentes, non hiérarchisées et souvent interdépendantes, les acteurs responsables de leur fonctionnement ne peuvent pas eux-mêmes exercer une supervision totale. En fait, les propriétés des environnements instables condamnent le pilotage à un contrôle partiel du système et font de ce pilotage en grande partie, un « art d'utiliser les circonstances » au moins autant qu'une application neutre et distanciée de normes et protocoles techniques. Les acteurs sont en permanence en train de faire des arbitrages entre les règles à appliquer et la façon de les interpréter selon les contingences des situations (cf. séminaire 3). Cet état de fait est autant du à des objectifs et des tâches mal définies – par nature - qu'à l'impossibilité d'appréhender l'ensemble des réactions et des états possibles du processus à contrôler. Ceci peut être vu comme une définition de la complexité qui peut être comprise comme une propriété intrinsèque du système mais aussi comme subjective et liée aux compétences des personnes chargées du pilotage de l’action. Cette perspective place alors les acteurs et leurs subjectivités au centre de la dynamique organisationnelle et la question centrale réside dans la co-construction du sens des situations dans lesquelles les acteurs sont engagés. 

8. Manager dans la complexité ? Les systèmes « bio-anthropo-techniques » que les managers sportifs pilotent sont des objets complexes, et en conséquence, l'accompagnement du processus de décision/action ne consiste pas à tenter de proposer des « solutions toutes faites » et de les apprendre au sein des dispositifs habituels de formation. Chacun des acteurs professionnels de l’organisation a son propre point de vue sur la réalité du système, point de vue qu'il a construit en fonction de l'expérience acquise au cours de sa trajectoire dans le passé et dans son espace d’action « sport - social ». Ces constructions sont à la fois issues et constitutives du système de représentations propre à la culture « disciplinaire » (sportive) à laquelle appartient l'acteur. Dans ce cas, la qualité des décisions/actions dépend de la qualité du processus de décision lui-même, entre autres de l'existence d'un dialogue entre les différentes parties prenantes concernées, non seulement pour vérifier que ces décisions sont acceptables mais aussi pour les co-construire.

Sur cette base, des chercheurs ont initié et développé – sous le vocable de « modélisation d’accompagnement  » - des approches alternatives pour la conception et l’utilisation des modèles, fondées essentiellement sur l’idée que les acteurs concernés pourraient être intégrés effectivement dans le processus de modélisation, depuis sa genèse jusqu’aux phases d’exploitation dans l’action collective. Dans ces démarches participatives, la cible n’est plus alors le modèle, mais l’activité de modélisation en tant que processus social apte à produire différents résultats, des artefacts comme le ou les modèles, mais surtout des changements cognitifs, normatifs, relationnels et opératoires chez les participants, acteurs du système cible (cf. sur ce blog le travail de modélisation et en particulier COMMOD).

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15/03/2011

Séminaire 3 : Le manager et ses responsabilités en action collective ; la pragmatique du droit

1. Introduisons la problématique de ce séminaire par une observation concernant les véhicules cherchant à s’insérer dans la circulation des périphériques urbains. La priorité à droite s'applique sur ces voies d'entrée, ce qui signifie que les véhicules entrants sont prioritaires sur les véhicules en circulation. Le boulevard périphérique parisien étant fréquemment encombré, l'insertion sur la voie de circulation se fait - en pratique - le plus souvent sur le principe de la fermeture éclair : la voie de droite du boulevard fusionne avec la voie d'insertion au rythme d'une voiture sur deux. Cette règle tacite évitant un blocage du flux circulatoire, traduit de fait, un non respect généralisé – collectif - des règles du code de la route. Inversement, le principe d’insertion par fermeture éclair n’est plus pertinent lors de circulation fluide et les conducteurs en reviennent naturellement aux règles prescrites. Mais qui juge d’une circulation encombrée ou fluide ? La question de l’application – voire de la concurrence - de la « règle écrite prescrite » ou de la « règle pratique émergente » n’est pas seulement une question « morale » de transgression ou non des règles établies (faire ce qu’il prescrit) mais aussi une question de viabilité de l’action répondant de caractéristiques contextuelles (faire ce qu’il convient en situation) et de la culture incorporée des conducteurs citadins. 

Qu’est-ce qu’alors qu’appliquer une règle ? L’interprétation instrumentale classique est la suivante : c’est agir, les yeux posés sur le modèle préétabli. De cela découle qu’il faut suivre très scrupuleusement une procédure, vérifier que l’on a obtenu tel ou tel résultat « conforme ». Mais la métaphore routière nous amène à penser qu’entre une norme sociale, et son application par les individus, s’ouvre un immense domaine de contingences, qui est celui engendré par la pratique en situation et qui n’est jamais pure application ou simple imitation de modèles préétablis : on a affaire ici à un conflit entre efficacité pragmatique et règle officielle, instituée et explicite. Dans cette perspective, les systèmes normatifs traduisent à la fois l’ensemble des règles formelles « désengagées » dont il est fait instruction aux gens ayant à les mettre en œuvre et la mise en œuvre par ces mêmes gens de ces règles formelles. Les deux dispositions formelles et pratiques de mise en œuvre des dispositions formelles, fonctionnent de manière réflexive, indissociable et inextricablement liée. Les lois, les règles juridiques, les mœurs, les principes moraux, les normes sociales, les conventions du langage, les conventions qui valent dans les sciences, ainsi que les normes de rationalité et de vérité, méritent d’être regroupés sous la catégorie très générale de « normes ».

2. C'est la question de la norme, des règles pour l'activité et de la renormalisation en actes et en situation qui est ici, posée. La notion de norme, essentiellement comprise dans sa dimension intersubjective et collective, est souvent restée impensée par les acteurs sportifs considérant « le référentiel » comme une commande ou une prescription normative qui s'exerce en direction de leur travail. Certes, la mobilisation des règles est une ressource pour l’activité, mais il apparait de plus en plus difficile de tenir la position que les normes et les règles puissent constituer de manière déterminante les seuls facteurs orientant la conduite des gens : du fait des « incertains » et/ou des « impensés » du travail, la transgression et la « prise en charge des choses » apparaissent bien comme une dimension constitutive du travail.

L’activité de travail pris au sens des interactions locales entre les acteurs orienterait alors vers le refus du « déjà la », consistant à ne pas accorder une fonction trop influente aux structures sociales par rapport aux actions locales des différents acteurs. Dans cette ligne de pensée, les institutions et leurs systèmes normatifs ne prennent corps et formes que dans les interactions qu’elles produisent (cf. le monde propre) et par conséquent – à ce niveau micro – la compréhension des interactions locales pourrait se suffire à elle-même. Mais on sent bien que le niveau plus macro - les cadres et normes institutionnels - pèsent sur l’action de chacun.Quelles voies alors entre des visions de systèmes normatifs trop « déterminants » et des visions de l’action/interaction trop « émergentes » ?

3. La multiplicité des acteurs et les modes pluriels de gouvernance du sport impliquent que les membres d’une « organisation sport » agissent en respectant les nombreuses prescriptions d’une pluralité d’ordres normatifs : celles édictées par l’état (cf. code du sport), celles du mouvement associatif (cf. loi 1901 et ses constructions dans le mouvement sportif amateur et professionnel), celles des fédérations sportives et du Comité National Olympique et Sportif Français, celles du code de la santé, celles du droit commun … La superposition de ces ensembles normatifs prescriptifs et par conséquent « mesureur » d’écarts, semble vouer à l’échec toute recherche - à priori - de cohérence pour l’action : pluralisme des sources, hétérogénéité des valeurs de référence, interactions entre les systèmes normatifs, niveaux d’action enchevêtrés, … Décrit souvent comme compliqué, les interdépendances « en acte » sont devenues si fortes que le droit est devenu complexe. Cette pluralité des principes directeurs et de fait, la pluralité des échelles de valeurs n’est pas sans poser aux acteurs, des problèmes majeurs de contradiction, d’identité ou de rationalité, parfois des conflits d’interprétation ou de loyautés.

L’impossibilité d’isoler une question des « détails » circonstanciels de son accomplissement appelle le manager, à l‘intelligibilité des écarts entre ce qu’il est convenu d’appeler le « travail prescrit » et le « travail réel », i.e. des « arrangements » construits par les gens engagés dans une activité pour produire localement une « vérité » et une compréhension mutuelle leur permettant de coopérer et d’interagir de manière largement ordonnée dans le cours de l’action. Autrement dit, il s’agit plutôt de porter attention aux « normes en acte » que les individus expriment, dans l’urgence des échanges, pour lever les problèmes d’incomplétude qui surgissent de mille façons impromptues à tout moment de l’action en cours et mettre en avant, le caractère situé, auto-organisé et émergeant de l’ordonnancement de l’activité « individuelle-collective/collective-individuelle ».

4. En ce sens manager peut être considéré comme une profession à pratique « prudentielle » ? Les professions qualifiées de « prudentielle » traitent de problèmes à la fois singuliers et complexes, dans des situations de forte imprévisibilité (Champy, 2010). Elles interviennent dans des situations pour lesquelles une application systématique de savoirs formalisés peut conduire à des catastrophes. Aubenque (1983) nous rappelle combien cette mise en garde est valable pour les juristes, lesquels doivent compter avec « l'infirmité inhérente à toute loi écrite, qui est universelle, alors que les actions humaines, qu'elle prétend régir, sont de l'ordre du particulier ». C’est l’adaptation à la singularité des cas qu’Aristote appelle la prudence : il a forgé une philosophie pragmatique pour désigner un mode de connaissance et d’action requis quand une irréductible contingence, des incertitudes, mettent en défaut la science, qui est adaptée seulement pour traiter de l’universel. Les professions à pratique prudentielle sont donc celles dont les membres ne peuvent pas se contenter d’appliquer des savoirs scientifiques, même s’ils ont la maîtrise de tels savoirs. Ils doivent prendre le risque de faire des paris face à l’incertitude des situations et dès lors chercher le « meilleur possible » et non le « meilleur absolument ».

06:47 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

15/02/2011

Séminaire 2 : Le manager créateur de son monde propre ; Du « bricolage » organisationnel ?

1. L’idée de « monde propre » trouve son origine dans la compréhension « non mécaniciste » et « non computationnelle » de l’environnement des êtres vivants. Le biologiste constructiviste von Uexküll (1909) avance l’idée que chaque animal est le créateur de sa propre « réalité externe », c’est-à-dire d'un monde vécu (Umwelt) que l'organisme construit pour ses propres besoins. Observer alors un être vivant dans des conditions expérimentalement construites c'est lui faire un milieu, lui imposer un milieu qui devient alors, artificiel.

Or, le propre du vivant, c'est de se faire son milieu, de se composer son monde propre ce qui suppose une immersion totale, un engagement actif, perceptif et pratique, avec les composantes du monde vécu : « L’homme dans son milieu n’est jamais comme un contenu dans un contenant » (Canguilhem, 1952) et « en solidarité et en réciprocité, l’homme est continûment transformé par son action sur le milieu physique et sur le milieu social ; non simple façonnement de l’esprit par le milieu, mais va-et-vient répété et croisé, avec des points de plus ou moins grande stabilité. Esprit et milieu se façonnent ensemble ; à un environnement autre correspond un esprit quelque peu différent » (Meyerson, 1987)

2. L’idée de « monde vécu » questionne les modèles cognitifs rendant compte de l’activité humaine. L’arrivée de l’ordinateur numérique a conduit à la modélisation de comportements cognitifs humains complexes en élaborant des modèles de l’intelligence humaine (Intelligence Artificielle) adaptés au diagnostic médical, à la preuve de théorèmes mathématiques ou aux jeux de société … Ces algorithmes viennent soutenir une vision de l’intelligence humaine comme étant avant tout un système de manipulation de symboles. La psychologie cognitive s’est emparée de cette hypothèse soutenant que ce type de processus de traitement de l’information rend bien compte des mécanismes de l’intelligence et des processus d’ajustements sensori-moteurs. Les hypothèses cognitivistes et computationnalistes, stipulant que la pensée est réductible à un ensemble de calculs symboliques se donc imposées pour le sens commun. La corporéité et l’action quant à elles, sont oubliées, irrémédiablement séparées des mécanismes de l’intelligence.

Plutôt un monde vécu qu’un monde représenté ! En réaction à cette vision, les paradigmes cognitifs alternatifs définissent les comportements des humains en tenant compte de leur Umwelt. Ils s’appuient sur le renouveau d’un courant philosophique fondamentalement non dualiste qui, dans la tradition de Merleau-Ponty, conçoit la cognition comme incarnée dans le sens où elle est située dans le temps et dans l’espace, dans la rencontre vivante, en temps réel, entre un corps et son environnement (Merleau-Ponty, 1942 ; Varela et al., 1993). Nous faisons advenir le monde dans lequel nous vivons : cf. le blog dédié à ces questions : http://preparation-mentale-pfleurance.hautetfort.com

3. Le contexte au sein duquel l'activité se développe n'est donc pas une simple « circonstance » car il fait partie intégrante de notre activité. Loin d'être réduit à une source de bruit, il est considéré comme une source de connaissances que l'acteur peut - et de plus doit - savoir exploiter dans sa vie quotidienne.

Mettre en avant l’écologie de l’action, c’est tenir compte de la complexité qu’elle provoque c’est-à-dire aléa, hasard, initiative, conscience des dérives et des transformations des plans, décision, inattendu, imprévu, … qui adviennent du fait de l’action qui s’effectue effectivement – phénoménologiquement - dans le temps et l’espace.

4. Parler de « monde propre » c’est qualifier ainsi des espaces organisés d'interactions sociales – les organisations - régis par diverses conventions et usages (« le monde du DTN », « le monde du président », « le monde des athlètes ») qui les font exister chacun en tant que « monde » (et cela concerne les humains et les non humains comme le propose B. Latour 1991).

De manière plus singulière, chacun de ces réseaux et les acteurs qui les composant se fabriquent « leurs » mondes qui sont donc des « versions » particulières, et il y autant de versions que de mondes car ceux-ci varient avec les individus et leurs interactions continues.

5. On peut identifier quatre registres de la réalité organisationnelle : à un niveau plus « micro », i) l'action et les interactions entre agents et ii) la régulation c’est-à-dire l'ajustement des cours d'action entre eux ; à un niveau plus « macro », iii) l'organisation c’est-à-dire les manières de stabiliser ces interactions et de les réguler et iv) l'institution c'est-à-dire la manière dont ces organisations sont construites et reconstruites, rendues cohésives par diverses normes et valeurs. Ces niveaux sont intéressants pour ce qu’ils permettent de révéler, puisqu’ils sont à la fois objet et process : « ce qui est institué » et « ce qui institue ». On retrouve ici le caractère fondamentalement double de l’organisation, à la fois statique et dynamique : les structures, parce qu'elles sont produites, reproduites, agies sont simultanément constituées et constituantes - organisées et organisantes. L’activité s’in-forme i.e. que « l’activité/flux » fait émerger « agents de l’interaction » fait émerger « situation/état transitoire » fait émerger « activité/flux » etc. : ce qui est généré, génère à son tour ce qui le génère (Morin, 1977).

Nous privilégierons la dimension dynamique de l’institution, « ce que le collectif institue » (le « monde propre »), c’est-à-dire les transactions, les interactions, les négociations, les arrangements autour des actions, des règles et des normes. Les humains étant des « créateurs de mondes », c’est finalement l’histoire – la dynamique - d’une organisation qui nous renseigne sur elle, pas le seul examen des règles de fonctionnement en elles-mêmes.

6. Ceci renvoie à acter l’idée que le monde n’est pas « donné à l’avance » mais est un système complexe d'éléments interconnectés, s'influençant mutuellement, favorisant ainsi des reliances et des émergences. Malgré les contraintes inhérentes aux mondes dans lesquels ils évoluent les managers construisent leurs actions en fonction de considérations d'opportunités, de contingences parmi un éventail plus ou moins large de conduites possibles et que de manière incessante et nécessaire, ils participent du « bricolage » organisationnel.

10:35 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

15/01/2011

Séminaire 1 : Inscrire un projet de formation dans un paradigme épistémologique ?

1. Diagnostic externe/interne des ressources et des contraintes/faiblesses - facteurs de réussite et d’échecs, « bonnes » pratiques – matrices croisant différents types d’indicateurs - segmentations instrumentales/procédurales de l’organisation, arborescences et hiérarchies diverses - catégorisations à priori des personnes, de la personnalité, des tâches et/ou des situations – « reengineering » – « benchmarking » - modélisations de l’organisation, du leadership, du travail, de la société  … les théorisations et injonctions paradoxales concernant le management sont nombreuses et très hétérogènes. Elles s’inscrivent le plus souvent dans une vision positiviste de l'Homo Oeconomicus postulant l’individualisme de l’acteur social, l’omniscience du décideur, la rationalité « fins/moyens » des individus sur la base d'informations supposées parfaites, la séparation entre les process de la connaissance et de l’action, l’efficience de la « main invisible » du marché et ceci, dans l’objectif essentiel de la « maximisation de la valeur/profit » (même si il n’est pas évident de l'instrumenter à un niveau opérationnel)

Bien sur, le champ du management porte en lui-même ses propres critiques épistémologiques et scientifiques (cf. les Critical Management Studies) qui conduisent « l’apprenti manager » i) à s’interroger systématiquement sur le sens et les hypothèses sous-jacentes aux modèles proposés, ii) à douter du consultant qui nous dit « qu’ailleurs, il y a forcément un monde merveilleux »

2. Ces approches véhiculent consubstantiellement quelques faiblesses conceptuelles et fonctionnelles lorsque l’on veut les transposer trop rapidement dans le monde du management des organisations sportives qui est - à minima – confronté à deux grandes zones d’influences i) celle du management public qui dans le cadre de la mise en œuvre de la doctrine du « New Public Management » - largement appuyé sur des instruments de  gestion souvent issus du secteur privé - interroge les conceptions et valeurs « traditionnelles » des cadres du public et ii) celle du monde associatif qui avec un budget cumulé de 59 milliards d’euros en 2007, un volume d'emploi de plus d'un million de personnes, 14 millions de bénévoles, un nombre d’associations qui dépasse le million et ce dans de multiples domaines sociétaux – pose des questions de gouvernance qui dépassent le cadre originel de la loi de 1901. En considérant que les modes de coordination de base sont l'Etat (la régulation centralisée), le Marché (la privatisation et la concurrence), le mode de gouvernance associatif ne peut s'envisager ni par une simple transposition du modèle de l’entreprise, ni par celui du nouveau management public, mais bien par d’autres modèles à élaborer en acte ... tel que celui de l'auto-organisation, c'est-à-dire la régulation par les parties prenantes (Ostrom, 2010).

Construire, dans un système de régulations croisées, les orientations stratégiques de son organisation avec les hautes autorités sportives (fédération nationale voire internationale – ligue professionnelle – mouvement olympique) et les autorités régaliennes (état et collectivités territoriales) s’inscrit dans bien les « ill-structured situation »

3. Il apparait de plus en plus évident que le Directeur Technique National ou le directeur d’association sportive professionnelle n’est plus seulement – voire n’est plus - un directeur technique (sous-entendu de la technique de l’entraînement sportif) mais bien au-delà, un « manager », c'est-à-dire quelqu’un qui possède la manière de conduire, diriger, structurer et développer une organisation.

Cela suppose un dialogue serré et continu entre des compétences liées au registre de la gestion et du management. Gérer, c’est mettre en évidence la solution d’un problème qui, par construction, se trouve dans l’énoncé. Les règles du jeu sont posées et si l’on dispose d’un ensemble de données suffisamment exhaustif on peut, par épuisement des différentes situations, trouver une solution optimale : cela fait appel à une évidente rationalité procédurale s'exprimant sous la forme d'une dialogie continuelle fins/moyens rapportés aux contextes d’activités.

Manager par contre, c’est trouver une solution qui n’est pas forcément contenue dans les données du problème. C’est parfois même découvrir ou construire le problème. Cela dépasse alors le calcul pour la créativité, l’imagination et l’innovation.

4. Face à ces questionnements, il convient d’inscrire ce projet de formation dans un paradigme épistémologique : c’est, pour le responsable scientifique de la formation, spécifier (voire justifier) les hypothèses fondamentales concernant, d’une part, ce qu’il considère connaissable dans le monde dans lequel les organisations humaines et sociales fonctionnent, et d’autre part, la nature de la connaissance que l’on peut développer de ce monde.

5. Les analyses des processus métier que nous avons effectuées - au cœur du projet de haute performance - orientent le projet de formation. La complexité d’un système social « vivant »  - une DTN par exemple - pose un véritable challenge : nous avons de réelles difficultés à synthétiser une quantité très importante d’événements interactifs afin d’en comprendre les effets. Les systèmes qui ont pour propriété caractéristique de regrouper un nombre important d’entités font évoluer et complexifient - par leurs interactions avec les autres éléments et avec leur environnement - l’organisation interne de l’intégralité du système.

          Il est quasiment impossible de prévoir l’évolution de telles organisations de par le grand nombre d’entités en présence et de leurs interactions.

6. Une intelligibilité fonctionnelle du champ d’action des managers sportifs appelle alors un changement de convention épistémique visant à passer de l'ère de la « normalité et de la complication » à celle de la « singularité et de la complexité ». Les sciences de la complexité nous enseignent aujourd'hui que la complexité est certes irréductible, mais que l'on peut y évoluer, voire la piloter, si l'on se donne les outils adéquats.  

C'est l'objet de la formation TMS.

10:23 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

15/12/2010

Trajectoire Manager Sport (TMS) : Enaction - Interdépendance - Dynamique - Stratégie

Nombre de modèles contemporains consacrés à l’explication de la performance humaine de haut niveau sont en décalage - voire en opposition - avec ce qu’en disent les sportifs (ves) et leur encadrement. Bien peu se reconnaissent pleinement dans les visions analytiques et causalistes trop souvent éloignées de leurs besoins et attentes ainsi que de leur approche en situation réelle de compétition. Poser ainsi une « vision » de la performance n’est pas sans conséquence sur le « regard » porté sur les organisations qui l’accompagnent et sur les modes de management qui contribuent à son émergence.

Envoyer, en sécurité, une équipe d’athlètes accompagnée d’une logistique de haute performance à l’autre bout de la planète tout en s’assurant du bon déroulement des activités sportives quotidiennes aux plans territorial et local ;

Construire, dans un système de régulations croisées, les orientations stratégiques de son organisation avec les hautes autorités sportives (fédération nationale voire internationale – ligue professionnelle – mouvement olympique) et les autorités régaliennes (état et collectivités territoriales) ;

Appuyer la vision stratégique du développement de son organisation sur l’analyse du présent et du passé, tout en ayant une vision prospective, viable et soutenable, pour son sport et, plus généralement, pour le mouvement associatif sportif ;

Exiger la plus haute performance de certain(e)s tout en veillant à la pratique quotidienne du plus grand nombre ;

Voila quelques dilemmes auxquels le manager est confronté, actuellement, et encore plus demain, dans un monde de plus en plus complexe et concurrentiel. Evidemment, le manager est entouré d’une équipe, mais celle-ci est souvent hétérogène en termes de pratiques de référence et d’appartenance organisationnelle. Il s’agit de travailler, aussi, à créer les conditions de l’articulation des compétences individuelles, collectives et stratégiques au sein de l’organisation.

En regard de cette vision du « métier », les modèles de planification linéaire de projet, uniquement centrés sur la technicité de la mise en oeuvre, reposant sur une logique au total déterministe et postulant une réduction progressive des aléas au fil du temps, n’apparaissent pas pertinents

« Envisager l’action du manager dans sa complexité, c’est avancer la nécessité de développer de nouveaux outils de pensée » pour se préparer à exercer ces missions passionnantes, mais extrêmement sollicitantes : là où il s’agissait généralement de simplifier pour concevoir l’action, il s’agit, maintenant, de comprendre la complexité des situations et d’oeuvrer dans le complexe.

Comment former des professionnels ayant des expériences différenciées, à ces fonctions où l’incertain et l’indéterminé prédomine ? Il parait assez illusoire de penser qu’il est possible de former à des métiers de ce type. Il est, par contre, réaliste de penser - et c’est bien l’enjeu de cet « Executive Master » - que l’INSEP grâce à ses multiples partenaires issus des mondes professionnel et académique peut créer les conditions pour que des cadres ayant une expérience et un projet affirmé s'engagent dans cette « Trajectoire Manager Sport »

06:31 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |