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15/05/2011

Séminaire 5 : Apprendre à oser, à utiliser les opportunités et à avoir de la chance

1. Dans des mondes concurrentiels où ce qui est impossible pour les uns apparait possible pour les autres, il devient utile d’apprendre à travailler à créer des environnements favorables susceptibles d’ouvrir des opportunités : « l’inconcevable » implique la sortie radicale de nos systèmes de représentation. Voici donc quelques arguments pour étayer, mettre en scène la thématique du séminaire et au final construire une posture qui envisage une nouvelle façon de percevoir la « réalité ».

2. N’est pas prince de Serendip qui veut ! « Les trois fils du roi de Serendip (mot du perse ancien pour Sri - Lanka) partirent à pied pour voir des pays différents et bien des choses merveilleuses dans le monde. Un jour, ils passèrent sur les traces d'un chameau. L'aîné observa que l'herbe à gauche de la trace était broutée mais que l'herbe de l'autre côté ne l'était pas. Il en conclut que le chameau ne voyait pas de l'œil droit. Le cadet remarqua sur le bord gauche du chemin des morceaux d'herbes mâchées de la taille d'une dent de chameau. Il réalisa alors que le chameau pouvait avoir perdu une dent. Du fait que les traces d'un pied de chameau étaient moins marquées dans le sol, le benjamin inféra que le chameau boitait etc. Les trois frères rencontrèrent ensuite un conducteur de chameau qui avait perdu son animal. Comme ils avaient déjà relevé beaucoup d'indices, ils lancèrent comme boutade au chamelier qu'ils avaient vu son chameau et, pour crédibiliser leur blague, ils énumérèrent les sept signes qui caractérisaient le chameau. Les caractéristiques s'avérèrent toutes justes. Accusés de vol, les trois frères furent jetés en prison. Ce ne fut qu'après que le chameau fut retrouvé sain et sauf par un villageois, qu'ils furent libérés ». (cf. la suite sur le site www.automates-intelligents.com ). On cite souvent l’anecdote du chameau perdu pour illustrer la sérendipité, sans doute parce qu’elle figure au début de «  Zadig », le conte de Voltaire qui l’a rendue célèbre. La sérendipité est une quête active qui facilite les rencontres, même si elle n’a pas de but connu, et non une attente passive devant l’inconnu. La curiosité, état de désir et de vigilance, est en effet l’une des meilleures dispositions pour que naissent les rencontres et découvertes heureuses : elle fournit la capacité à provoquer et entendre le hasard ...

3. L’intelligence rusée ? Les Grecs n'ont pas manqué d'observer que l'action impliquait une attitude d'esprit particulière, que la pratique finalisée, le « faire » affronté à des obstacles qu'il fallait surmonter pour réaliser un projet - cela peut être une vision de la stratégie - supposait un certain type d'intelligence des choses. La pragmatique de la mètis grecque commande les actions pratiques, c'est-à-dire — à la lecture de Détienne et Vernant (1974) — l'art pratique des conjectures et des contextes, i.e. une intelligence qui procède par détours, sensible aux réalités concrètes, aux expériences, mettant à l'ouvrage des ressources et des compétences d'habiletés, d'adresse — y compris celle de la ruse — pour construire et pour conduire la production de l'action efficace/efficiente. Ayant pour application le monde du mouvant, des réalités fluides qui ne cessent jamais de se modifier et qui réunissent en elles mêmes à chaque moment, de l’ambigu, des forces opposées, des aspects contraires, la mètis apparait « multiple, bigarrée, ondoyante ». Engagée dans le devenir et l’action, cette forme d’intelligence est depuis longtemps refoulée dans l’ombre du « non savoir » : l'action n'a pas été reconnue, aussi naturellement qu'on pourrait le croire, comme un objet de raison. Tout s'est passé comme si, dans notre espace culturel originel, la quête de la connaissance avait, en s'attaquant à l'objet « action », butée, dès l'origine et pour longtemps, contre un obstacle épistémologique : celui que constituent, pour l'entendement et le jugement, l'instabilité de ses déterminations et de ses attributs, sa nature foncièrement contingente et la singularité des processus cognitifs requis par un « faire » toujours « local ». Obstacle épistémologique pour une volonté de connaissance rationnelle qui percevait l'objet action comme ressortissant de « la technique » et/ou de « l'art », alors qu'elle privilégiait l'approche « scientifique », i.e. la quête du général sous le particulier, des essences sous les événements, et poursuivait le dévoilement des régularités cachées sous les variations des phénomènes. A l’inverse donc, le manager ne serait-il pas cet être ingénieux (au sens de l’ingénium de Vico cf. www.intelligence-complexite.org) qui, doué d’intelligence rusée, mélange action et réflexion, dire et faire, conception et production, langage et technique et qui comme au jeu de go, contrôle le plus d’espace possible en construisant des réseaux et étendant par un enchevêtrement de plus en plus serré son influence ? 

4. S'appuyant sur la propension : ne rien faire ... et que rien ne soit pas fait ? L'occasion serait, chez les Grecs, le moment favorable offert par le hasard et que l'art permettrait d'exploiter afin d'insérer l'action dans le cours des choses. En Chine, selon François Jullien (1996 ; 2009) le moment opportun correspond à celui où le maximum de potentiel est accumulé - donc où l'efficacité est à son point culminant - faisant de l'occasion le moment le plus adéquat pour intervenir au cours du processus engagé. « Dans l'optique de la transformation, l'occasion n'est plus que l'aboutissement d'un déroulement, et la durée l'a préparée ». Elle n'est donc pas le fruit du hasard, mais d'une évolution, qui laisse entrevoir en réalité non pas un, mais deux instants cruciaux. Le second, terminal, est celui où l'on tombe sur « l'ennemi » avec un maximum d'efficacité. Le premier, initial et peu perceptible, est pourtant le plus décisif car c'est de lui que débute la capacité d'effet et que découle l'occasion finale. Tout le travail du sage et du stratège consiste donc à scruter ce moment discriminant des plus imperceptibles : le stratège chinois cherche à détecter au plus tôt les moindres tendances susceptibles d'être déployées - chez soi ou chez l'adversaire -, avant même qu'elles aient eu le temps de manifester leurs effets. La faille étant inscrite dans l'ordre des choses, il suffit de savoir attendre le moment opportun, chose d'autant plus facile que ceci n'est guidé par aucun dessein projeté.La pensée chinoise est attentive à ce que nous appellerions la « logique de situation », i.e. le potentiel résultant de la disposition des choses existantes. De ce point de vue l’action du héros (don Quichotte ?), qui s’affronte à l’état des choses existant, est non seulement stérile mais incompréhensible. L’action ne peut être efficace que si elle exploite le potentiel que comporte la situation. Pour activer ce potentiel il faut savoir repérer parmi les tendances qui, commençant à germer, n’appartiennent pas encore à l’état des choses existant, celles qu’il convient d’encourager ou de décourager : le jardinier ne soigne-t-il pas les plantes utiles et ne déracine-t-il pas les pousses des mauvaises herbes ?

5. Situation – corporéité – socialité : la créativité de l’agir ? Discutant les dichotomies cartésiennes entre l’esprit et le corps, entre le moi et le monde, parce qu’elles dissocient la connaissance de l’action, Hans Joas (1999) cherche le moyen de rompre avec ces dualismes qui mettent en évidence la position marginale de l'idée de créativité dans la tradition de la théorie sociologique de l'action.Joas part d’un constat simple: il existe deux modèles dominants de l’action, le modèle rationnel et le modèle normatif (cf. ci-dessous). Ces deux modèles sont importants et ont beaucoup contribué à la sociologie et à l’économie, mais pour Joas, il faut développer un modèle moins conventionnel, moins limité, plus subjectif, qui échappe à un cadrage théorique trop strict: c’est ce qu’il va appeler le modèle de l’agir créatif qui l’amène à affirmer qu’on ne « dépassera le schéma de la fin et des moyens qu’en mettant en évidence […] le rapport de médiation pratique entre l’homme comme organisme vivant et les situations dans lesquelles il se trouve pris ».

6. Rationalité et/ou opportunisme cognitif ? Le sujet en situation est tributaire d’un champ de contraintes et/ou de ressources qui – selon sa vision des choses - organisent sa marge d’action ... mais il n’est jamais entièrement déterminé mécaniquement/causalement par ce champ car il dispose toujours d’une capacité d’initiative susceptible de faire émerger de la nouveauté : sa liberté/nécessité de renormalisation en actes. En fait, l’action pratique n’est pas organisée en suivant un plan préétabli - généralement de façon rationnelle et linéaire à partir d’une simplification excessive du réel (cf. séminaire 1) - mais s’ajuste sans cesse aux circonstances et au contexte en reconfigurant dans le cours du travail les règles, les normes antécédentes à l’action.C'est la question de la norme, des règles pour l'activité et de la renormalisation en actes et en situation qui est ici, posée (cf. Séminaire 4 : Manager dans la contingence ?). Ainsi, posant l’opportunisme comme une conduite consistant à tirer le meilleur parti des circonstances, même si cela doit se faire à l’encontre des règles établies ... l’opportunisme cognitif se fonde comme devenir d’une « représentation » dès lors qu’un système est vu comme autonome : les paradigmes cognitifs alternatifs s’appuient sur le renouveau d’un courant philosophique fondamentalement non dualiste qui conçoit la cognition comme incarnée dans le sens où elle est située dans le temps et dans l’espace, dans la rencontre vivante, en temps réel, entre un corps et son environnement ; nous faisons advenir le monde dans lequel nous vivons ! (Merleau-Ponty, 1942 ; Varela et al., 1993)  - cf. Séminaire 2 Le manager créateur de son monde propre et le blog dédié à ces questions : http://preparation-mentale-pfleurance.hautetfort.com)

7. Créer avec les acteurs, parties prenantes ? On peut montrer des solutions, faire des enquêtes et/ou des études, s’interroger sur les besoins des acteurs, amener des réponses toutes faites, prescrire des bonnes pratiques, etc. ... La mise en acte et l’innovation ne sont cependant pas garanties : le plus important est de changer la culture, i.e. le processus par lequel nous faisons les choses. Souvent, le manager et/ou les consultants experts croient connaitre le problème et sont certains de savoir le résoudre, mieux que quiconque : il faut - en fait - modestement accepter de prendre du recul, car souvent le problème n’est pas celui que les experts pensent. Le changement est tout autant initié et porté par les acteurs au sein de leurs propres milieux de travail, que suscité par le processus d'invention de nouveautés techniques et conceptuelles. Dans la stratégie de conception/action distribuée de « management 2.0 » que nous avançons, le fait de développer des actions en collaboration active avec les parties prenantes, définie la créativité : i.e. c’est produire quelque chose de différent au sein des collectifs impliqués.Parallèlement au défi cognitif de la créativité, émerge donc un défi managérial. On ne peut certes programmer la création ni l’invention, mais on peut augmenter la fécondité de la sérendipité : comment former ses collaborateurs à cette attitude ? Comment s’organiser pour « capter » leur imaginaire et leur créativité ? Les réponses à ces questions sont bien l'objet de ce cinquième séminaire.

 

14:35 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

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