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03/04/2013

Le sport, ordres – désordres. A propos de ma participation le 4 avril à l’émission « R » du sport de l’Insep

1. Du désordre, on fait d’abord et avant tout l’expérience. Plutôt qu’une définition formelle des notions d’ordre et de désordre, essayons de partager un constat traitant « de ce que les choses sont » du point de vue du sujet agissant.

Le paradoxe est le suivant. Bien que les événements compétitifs soient longuement préparés et soigneusement planifiés, ils sont partiellement imprévisibles à la fois, quant à leur déroulement et leur résultat. Certes, les managers, les entraineurs et les athlètes font beaucoup d’efforts pour planifier l’entrainement, pour coordonner les actions, pour prévoir leurs comportements, pour que les rendez-vous aient lieu, pour que les compétitions soient réussies, ... D’un certain coté, les activités des entraîneurs et des athlètes sont donc pour une part, des actions ordonnées, contraintes, identifiables dans leurs contextes par rapport à des buts qui sont imposés par les procédures & techniques sportives mais d’un autre coté, on observe que ces activités sont aussi pour une large part imprévues, autodéterminées et au final auto-organisées c'est-à-dire « bricolées en temps réel ».

Des décisions parfois lourdes de conséquences sont prises pour des raisons très contingentes : un environnement qui évolue, des événements inattendus qui ont lieu (blessure), des changements qui émergent de processus apparemment routiniers … C'est la question de la norme, des règles pour l'activité et de la renormalisation en actes et en situation qui est ici, posée. Dans ce processus bien documenté de « renormalisation en acte », les règles sont renégociées régulièrement, les rôles redéfinis, les choix réexaminés, … Les acteurs sont contraints de prendre en compte des événements imprévus, des temporalités étendues et multiples, des causalités hétérogènes, des phénomènes de singularité, de désordre, de paradoxe contre lesquels les sciences du sport se sont en grande partie construites.

Une première remarque est que cet « ordre » n’est pas l’expression de déterminations issues de lois mathématiques extérieures aux acteurs - mais bien en grande partie le fruit de leur activité permanente, de leurs interactions et coordinations en acte et de (re)mise en ordre continuelle.

Une seconde remarque est que faute de donner à l’imprévisibilité un statut précis dans l’analyse, les chercheurs ont pris l’habitude de raisonner comme si cela n’existait pas renvoyant la manifestation du « désordre » à l’erreur, aux risques, à l’incompétence, voire à la morale en évoquant la transgression à la norme.

Il s’agit donc de donner une place à l’imprévisibilité dans la compréhension de nos actions quotidiennes et à échapper ainsi à un schéma binaire dans lequel les situations sont vues soit : i) comme totalement déterminées, prévisibles et susceptibles alors de relever de prescriptions de différentes natures pour les contrôler - ii) comme totalement imprévisibles, arbitraires et sur lesquelles les entraineurs - managers n’auraient aucune prise.

2. Les cadres théoriques du raisonnement des sciences du sport en sport de haut niveau sont aveugles à de tels phénomènes et n’offrent guère d’outils pour traiter cette dimension. Si l’on prend au sérieux le constat précédent, nous sommes conduits à constater un « déficit d’explication » dans l’approche des phénomènes de l’entraînement.

Pourquoi ? Faute d'interrogations sur leurs outils théoriques, les chercheurs sur le sport de performance considèrent très majoritairement que les situations qu'ils analysent sont stables, prévisibles, structurellement « ordonnées », « déjà là »...

Dans la conception déterministe qui les organise, tout le futur est entièrement contenu, déterminé par le présent : connaissant les lois du mouvement et les conditions initiales, ils déterminent avec certitude le mouvement futur pour un avenir aussi lointain que nous le souhaitons. L’exemple illustrant ceci renvoie à nos souvenirs mathématiques du collège : si un train roule à 50 km par heure combien aura-t-il parcouru au bout de 2 heures – 5 heures – 100 heures ? Ce qui signifie qu'en ayant une connaissance de tous les éléments constitutifs et de toutes les relations existantes dans un système, il serait possible de prévoir l’évolution de ce dernier.

La conscience de l'oubli de l’écosystème d’action nous ramène vite à l’aspect artificiel de ce type de raisonnement linéaire et normatif évacuant les singularités. Recherchant surtout des causalités et des régularités, ces approches ne disposent pas de concepts permettant de donner du sens à des situations d'instabilité, d’ambiguïté, de contingence, de bifurcations, de points de basculement, … alors que les praticiens se trouvent confrontés en permanence à ces phénomènes. 

Notre histoire scientifique et les changements sociétaux nous conduisent dans un monde où il faut acter la fin des certitudes, de la complétude, de l'exhaustivité, de l'omniscience pour envisager une transformation inéluctable de la façon de construire nos connaissances.

dd.jpg3. Comment penser le désordre et l’ordre ? Le préfixe « des » tend à indiquer une séparation nette entre ordre et désordre et le terme de « désordre » est sous le signe de la privation, de la négation : le désordre s'annonce avant tout comme une absence d'ordre. Mais ces deux phénomènes sont irrémédiablement liés : le désordre n'est pas une absence d'ordre et dans une vision dynamique - historique, ils ne sont pas concevables l’un sans l’autre car ils se coproduisent l’un l’autre dans une tension continuelle.  Expliquons ceci en nous appuyant – ici - essentiellement sur les notions « d’auto-organisation et de criticalité » :

L’auto organisation est un processus d’organisation émergeant – non prévue à l’avance - et résultant de l’interaction de chacun de ses éléments. La métaphore du vol d’étourneaux explique bien qu’un « ordre global » peut être produit sans qu’il n’y ait ni leader, ni centre organisateur, ni programmation au niveau individuel du projet global dans sa forme finale et évolutive.

Ce qui caractérise les systèmes auto organisés c’est l’émergence et le maintien d’un ordre global sans qu’il y ait un chef d’orchestre mais des interactions entre ces membres (d’où l’importance de reconsidérer la notion de réseau) : il n’y a pas de principe d’ordre supérieur mais comme le propose Henri Atlan (Entre le cristal et la fumée) un principe « d’ordre par le bruit » que Heinz von Foerster avait proposé dans son article : « On Self-Organizing Systems and their Environments »

La théorie de l’auto-organisation et la « criticalité » expliquent que certains systèmes, composés d’un nombre d’éléments en interaction dynamique, évoluent vers un état critique, sans intervention extérieure et sans paramètre de contrôle. L’amplification d’une petite fluctuation interne peut mener à un état critique et provoquer une réaction en chaîne menant à un changement de comportement du système.

Un modèle simple illustre ce phénomène : le tas de sable. L’expérience de Peter Bak consiste à ajouter régulièrement des grains à un tas de sable. Petit à petit le sable forme un tas dont la pente, en augmentant lentement, amène le tas de sable vers un état critique. L’ajout d’un grain peut alors provoquer une avalanche de toute taille, ce qui signifie qu’une petite perturbation interne n’implique pas forcément de petits effets : dans un système non linéaire, une petite cause peut avoir une grande portée. Les avalanches connaissent donc différentes amplitudes qui sont toutes générées par une même perturbation initiale (un grain de sable supplémentaire).

L’état critique auto organisé d’un système est donc un état ou le système est globalement métastable tout en étant localement instable. Cette instabilité locale (de petites avalanches dans le modèle du tas de sable) peut générer une instabilité globale plus ou moins forte qui ramène ensuite le système vers un nouvel état métastable (l’importance des avalanches de sable est inversement liée à leur fréquence. Il y a peu d’avalanches de grandes tailles et beaucoup de petites).

On peut considérer que certaines situations sportives sont dans un état métastable et métaphoriquement, on peut se demander avec l’accumulation des charges, quel « grain de sable » perturbera le système et conduira à sa réorganisation. Ce qui est intéressant - ici - c’est que le raisonnement quantitatif rejoint les aspects qualitatifs : plus de … a des impacts sur l’organisation du système.

4. Et si on se formait au « désordre » ?

Toute organisation est guettée par l’usure entropique, absorbe de moins en moins aisément les chocs imprévus et ne trouve plus de réponse aux « bruits » qui l’assaillent. Or vivre, c’est défier l’entropie. Autrement dit, un système survit non par la simple mécanique répétitive d’un ordre préconçu, mais par la faculté de se réorganiser « en conscience ». C’est bien sur cette voie que ce blog veut entrainer ses lecteurs

 

13:32 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |

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