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15/05/2013

La multiplication des intervenants autour de la performance sportive : réponses à une interview

dd.jpg1. Quel regard portes-tu sur la multiplication des intervenants (en général) autour de la performance sportive ?  Et en particulier sur les données psychologiques et  mentales ? D’abord un constat : Les études que nous avons menées sur les formes contemporaines de l’efficacité de l’action autour des sportifs de haut niveau amènent à constater une division du travail de plus en plus accentuée ; ce mouvement de spécialisation renvoie à la prise en compte de différentes activités qui apparaissent nécessaires à l’obtention d’une meilleure performance : spécialisation technique, préparations physiques spécifiques, élargissement de la palette des soins, travail sur le mental, sur la diététique, mais aussi sur la logistique, le management, l’accompagnement, ... Evidemment, les membres de ce « staff » sont le plus souvent hétérogènes en termes de pratique de référence, de culture et d’appartenance organisationnelle.

Chaque corporation intervenant dans le process de performance - se considérant comme indispensable - cherche à valoriser et à maximiser son intervention sur la base de savoirs très segmentés : il s’en suit une série de prescriptions paradoxales en direction de l’athlète, voire de l’entraineur. La tradition individualiste concernant l’explication de la performance humaine en sport a été d’identifier et de mettre en exergue des « déterminants » de la performance et par suite de construire un dispositif et des contenus d’entrainement sur ces bases. Concrètement, cela conduit à proposer des « ingénieries de l’individualité » que chacun peut repérer dans les différents types de préparation sportive proposés actuellement. Malgré les changements constatés ci-dessus, cet acquis historique n’est actuellement plus discuté sur le fond et tout semble aller de soi.

Mais on n’additionne pas les paramètres de la performance et la recherche de maximisation de chaque paramètre ne garantit pas la performance finale : le comportement agrégé - typique des systèmes adaptatifs complexes – est insaisissable là d’où viennent ces théories et ces modélisations non interactives des éléments de la performance n’entrainent pas les managers, les entraineurs, les athlètes à faire face à l'imprévu des situations de compétitions et bien peu se reconnaissent dans les visions analytiques et causalistes trop souvent éloignées de leurs vécus ainsi que de leur approche en situation réelle de compétition. Prendre acte de ceci a de nombreuses implications que nous essayons de manifester depuis plusieurs années dans nos études. Citons brièvement deux points parmi d’autres :

Les observations concernant l’expertise des athlètes mettent en évidence des formes d’activité ou des modes d’adaptation très efficaces et singuliers sans que, la plupart du temps, ceux-ci n’aient fait l’objet d’une intervention spécifique lors de l’entrainement. Ne se préoccupant généralement pas de l’action « agrégée » en situation, les recherches « segmentées » ne proposent pas de théories du développement des expertises singulières, et modélisent ce développement comme étant essentiellement l’apprentissage de processus isolés (… cf. les catégorisations usuelles physique, technique, mental, …) dont la reliance et les implications de celle-ci, ne sont jamais envisagées. Prenant l'individu et/ou un process isolé comme échelle élémentaire et centrale de la représentation des phénomènes étudiés, elles tendent même à considérer qu’il suffit de connaître ce qui différencie des athlètes experts, d’athlètes moins experts pour envisager ipso facto, des principes d’entrainement quel qu’en soit la nature (psychologique ou autre). Ce faisant, elles définissent implicitement l’intervention en entrainement comme la seule mise en œuvre de principes découlant rationnellement de connaissances sur des process d’athlètes experts. Et une telle mise en œuvre est pensée comme ne posant pas de problème particulier … On sait aujourd’hui qu’un tel présupposé est problématique. Penser l’entrainement comme l’application de règles issues de recherches sur le contrôle de la performance, se révèle insuffisant pour envisager la coordination des ressources disponibles autour de l’athlète.

C’est pour ces raisons que nous avons positionné le métier d’entraîneur national comme « chef de projet performance » invitant ainsi à quitter la référence habituelle au paradigme du « premier de cordée » - constitutif de la formation initiale des cadres techniques - pour entrer dans l’univers plus complexe du « chef d’orchestre ». D’autant que ceci ne concerne plus seulement les entraineurs, car de plus en plus d’athlètes souhaitent s’entourer de compétences qu’ils choisissent, voire créer leur propre structure d’entrainement.

La question du management des collectifs « performance » devient alors essentielle : de l’optimisation des ressources à la coordination des ressources, la vision « acteur-réseau » interroge les conceptions uniquement personnalistes et oblige à discuter un schéma ancien  (a-t-il réellement  existé ?) qui plaçait l’entraîneur au centre du système. Dans ce que l’on pourrait appeler un réseau d’acteurs, les comportements sont de fait interdépendants : les actions des différents acteurs dépendent à la fois de l’information sur la stratégie des autres acteurs et de la capacité à la rendre signifiante dans le projet global de performance. Dès lors, la complexité des systèmes sociotechniques « vivants » pose un véritable challenge : nous avons de réelles difficultés à synthétiser une quantité importante d’événements interactifs afin d’en comprendre les effets. Les systèmes qui ont pour propriété caractéristique de regrouper un certain nombre d’entités font évoluer et complexifient - par leurs interactions avec les autres éléments et avec leur environnement - l’organisation interne de l’intégralité du système. Il est quasiment impossible de prévoir l’évolution de tels systèmes de par le nombre d’entités en présence et leurs interactions. Ceci incite à questionner les approches réductrices essentiellement centrée sur les individus, leurs états mentaux et leurs intentions comme uniques déterminants des réalités vécues et ainsi, à chercher des modèles rendant mieux compte de la complexité des collectifs au travail. C’est dans cet esprit que nous avons créé le contenu de la formation « Trajectoire Manager Sport » http://pfleurance.hautetfort.com  

2. Ton  regard sur l'accompagnement psychologique à la performance a-t-il évolué au fil de ta carrière, et quelles sont les conséquences ou enseignements que tu en as tirés ? Au cours de mon parcours à l’Insep, j’ai été amené à faire évoluer mes questions sur l'accompagnement psychologique et la manière de l’aborder. L’évolution de mes réflexions a été influencée (i) par la nature des questions à traiter, largement marquée par les demandes des acteurs du monde sportif et ceci, en cohérence avec le positionnement institutionnel à l’Insep, d’une recherche « finalisée », « utile » ; (ii) par le peu d’évolution des questionnements épistémologiques et des connaissances dans le domaine de la psychologie du sport et des sciences de la cognition, en général (iii) par la progression de mes réflexions et de mes travaux personnels. Ceci m’a conduit à réfuter la notion de « mental » telle qu’elle est employée généralement par les  préparateurs du mental (http://preparation-mentale-pfleurance.hautetfort.com/list/elements-de-discussion-qu-est-ce-que-le-mental/2115154206.pdf). J’ai cherché à réagir - au moins - à deux dérives :

L’excessive personnification et psychologisation. Une personnification et une simplification des relations sociales, des activités sportives, …  tend à proposer une explication universelle (a-situé) et intemporelle de l’action (au sens pragmatique et phénoménologique) et à minorer le rôle des facteurs organisationnels, interactionnels, d’apprentissage, … Dans ce contexte, il n'est pas étonnant qu'en cas d'échec, c'est logiquement la personne qui est en cause : elle ne sait pas s'adapter, elle est stressée, elle a besoin de retrouver l'estime de soi, … Le risque est de tomber dans les pièges lucratifs de cabinets de « conseils » peu scrupuleux abordant ces questions sur un mode individuel et psychologique, questionnaires douteux à l'appui allant chercher les failles non pas dans l'organisation du travail, mais dans celle de la vulnérabilité inhérente à l'humain en activité de performance. Le masquage de la complexité induit par cette approche personnaliste ne contribue que très peu  à améliorer le problème de la complexité de l’action, car les acteurs n‘ont plus conscience de la globalité du système, de ses interrelations …

L’oubli de l’action (au sens pragmatique et phénoménologique) et de la corporéité. En assimilant l’esprit humain à un système informatique dont les compétences computationnelles signifient l’intelligence humaine, les sciences de la cognition sont parvenues à une conception de la connaissance qui la rend indépendante des conditions biologiques (mais aussi historiques et sociales) de sa réalisation en tant qu’action intégrée et finalisée dans un environnement naturel. Un système intelligent doit être en contact continu avec le monde physique pour agir et effectuer des tâches et pour cela, il doit posséder un corps ! Le paradigme alternatif  de l’Autopoïèse - auquel je me réfère - traite de l’esprit prolongé (extended mind) et de la cognition encorporée (embodied cognition) pour penser la relation circulaire action – cognition. Les implications de cette analyse m’ont conduit à questionner et réfuter le paradigme de l’enseignement des habiletés mentales pour mettre en perspective l’intelligibilité de l’expérience vécue, de l’agi en situation, privilégiant ainsi les aspects émergeants et auto-organisés de l’action située.

3. Si tu fais une différence entre ces 3 pratiques (psy/ PM/ coach), quelle est elle ? Un ouvrage de Paul Fraisse paru en 1980 et imaginant la psychologie de l’an 2000, me permet d’expliquer ma position : « Je vois l'avenir ouvert à des hommes qui, à partir d'une formation spécialisée, auront acquis une formation pluridisciplinaire qui leur permettra d'évaluer le poids  des différences variables impliquées dans chaque problème. Je ne sais pas comment les appeler … Je proposerai, comme un défi, de les appeler des anthropologues. ». Accompagnement, tenir conseil, supervision, tutorat, soutien, mentorat, parrainage, partenariat, système d’aide, entraide, médiation, coaching, groupe de rencontre du travail, retour d’expérience, … de nombreux termes porteurs de sens si différents ?

En dehors des querelles d’écoles, je ne suis pas sur que toutes les dimensions contenues dans ces termes, ne jouent pas à un moment ou à un autre, dans la démarche d’accompagnement entendue comme activité pratique. A priori, je ne m’appuie donc pas sur les technicités des pratiques d’interventions pour envisager le sens du projet. Ce qui me semble important de questionner est la relation « classique » d’aide définie essentiellement à partir du schéma de la réparation et/ou du manque pour jeter les bases d’une « aide à la relation » d’accompagnement. En avançant par exemple, le caractère « d’optimalité contingente » - et non de maximisation - la « psychologie positive » m’apparait aller dans ce sens.

4. Dans quelles circonstances as-tu eu l’occasion de côtoyer/ travailler avec l’un ou l’autre de ces spécialistes, et avec quels objectifs et résultats ? Pour illustrer ceci je reviendrais sur les groupes de rencontre des Directeurs Techniques Nationaux « Retour et Partage d’Expérience » que nous avons animés. Il s’agissait d’organiser et de faire vivre un lieu d'élucidation collective des différents enjeux « DTN » sur des sujets singuliers, très spécifiques, propres au management stratégique de projets dans un système de régulations croisées état - fédérations et dont la littérature fait rarement état : comment travailler à transformer l’expérience singulière de chacun en connaissances utiles pour l’action efficiente de tous ?

Dans le management des « risques » inhérents à l’accompagnement des situations sportives, la variabilité de la performance ne peut être niée, et cette variabilité est, tout à la fois, source de succès et d’échecs : elle peut être vue comme le résultat de combinaisons inattendues de la variabilité de la performance « normale » faisant face à la complexité du monde réel. Las des catégorisations génériques ! Un individu, un système est toujours singulier dans la mesure où il n’est pas « substituable » : sa place ou son rôle ne peut pas préexister à l’individuation en acte qui fonde son existence.

Il nous faut alors développer de nouvelles intelligibilités et donc de nouvelles ingénieries, pour dépasser les tropismes scientistes consistant à tenter de réduire le désordre - la variété - la variance - l’instabilité - l’incertitude - la créativité – … mais par contre à augmenter l’ordre - la standardisation - la conformité - la stabilité - la prévisibilité, … L’illusion « normale » de ces approches fait refuser l’atypie phénoménologique fondamentale de l’être humain. Ne peut-on se demander comment une singularité - au sens fort d'unicité, d'incommensurabilité - devient possible et acceptable ? C’est ce que nous avons tenté de réaliser lors de ce travail.

09:17 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (1) | |

Commentaires

Merci pour cet article qui aborde un phénomène enclenché déjà depuis de nombreuses années :
« L’apport d’expertises extérieures dans la recherche de performance » auquel j’ai personnellement été confronté durant ma carrière d’entraîneur.
L’apport de ces spécialistes me parait aujourd'hui incontournable. Par définition ces experts enrichissent les connaissances de l’entraîneur lui donnant ainsi plus de matière pour plus de solutions.
Les problèmes que j’ai rencontré se situe dans :
- Le niveau d’investissement de ces experts
- L’emprise directe sur les athlètes
- La coordination des interventions
- La jonction entre experts personnels de l’athlète et ceux de la Fédération et autres Insep club…
- Les niveaux de responsabilité en cas d’échec ou de performance
- La reconnaissance apportée et celle attendue
- La pérennité des relations

Ces dilemmes confortent largement l’idée soutenue dans ton article sur l’évolution du métier d’entraîneur à celui de « chef de projet de performance » ou comme je préfère les appeler « Accompagnateurs de projet de performance ».
La formation aux métiers du management prend alors tout son sens et devrait être rendu obligatoire dans la formation des entraîneurs de haut niveau. Le risque survient lorsque l’expert franchi la barrière entre expertise et ingérence et que l’autorité et la responsabilité de l’entraîneur se dilue au profit de certitudes scientifiques.
Car il y a un incontournable à ce paradigme c’est l’atypie de l’athlète, c’est son histoire de vie qui peut servir ou déjouer tous les pronostics faisant de la performance un événement unique et magique.
L’apport d’expertises extérieures conserve tout son sens si après avoir acquis la capacité à coordonner et gérer avec efficacité ces nouvelles compétences, on sera capable d’adapter, avec subtilité, les savoirs extérieurs à ceux qui ont construit l’athlète. Trouver le liant capable de transformer cette matière qui est tout sauf première.
En gymnastique la « construction » d’une performance est longue et commence dès la petite enfance. L’acquisition de nouvelles habilités motrices permet de reprogrammer le corps humain pour qu’il marche sur les mains ou s’envole dans l’espace et retombe sur ses pieds de façon millimétrée et sans se blesser. C’est un travail gigantesque qui dépasse largement le seul aspect technique et aborde pleinement la subtilité et la finesse de la relation humaine. C’est donc un travail ou la technique et la pédagogie ne peuvent être déconnecté de l’humain, de l’aventure humaine. C’est pourquoi je crois beaucoup au binôme entraîneur entraîné tissée pendant de longues années.
Pour moi les entraîneurs personnels, ceux qui ont formé l’athlète dès le plus jeune âge, sont les véritables experts car ils ont vécus l’histoire, ils connaissent la sensibilité, et la subtilité nécessaire. Ce ne sont pas forcément des scientifiques mais leurs spécialités c’est d’avoir vécu avec leurs athlètes pendant des années. Finalement on peut se poser la question de savoir si l’apport d’expertises extérieures est mise en place pour compenser la méconnaissance profonde et subtile de l’athlète.
Dans leurs parcours d’excellence sportive bien souvent les fédérations cassent ce lien lorsque les athlètes doivent changer de structures. Clubs, centre régionaux, Pôles espoirs Pôles France Jeune puis Pôles France et enfin Equipe de France avec l’entraîneur national. Autant de système différents d’abord construit puis détruit puis reconstruit avec d’autres repères , d’autres entraîneurs, d’autres experts…
Le chef de performance devrait toujours avoir le souci d’intégrer quand c’est possible ces experts d’histoires de vie que sont les entraîneurs personnels dans les périodes délicates.
Comme le chef d’orchestre dans ton article, l’accompagnateur de projet de performance devra mettre ses experts au diapason pour faire jaillir de l’athlète la pureté d’un accord majeur.
Lorsque l’athlète arrive en équipe de France l’entraîneur national devra composer avec une personnalité déjà construite et bien installé. La prudence s’impose afin que l’extériorité ne bouscule l’intériorité. Toutes les ressources seront nécessaires sans oublier et c’est l’objet de mon propos, l’expertise des entraîneurs formateurs de l’enfance.
Laurent Barbieri
CTN FFG
+33622996511
barbieri.ffgym@gmail.com

Écrit par : Laurent Barbieri | 28/05/2013

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