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10/03/2012

Prospective du présent et management durable

1. « Plus de la même chose … et encore plus de la même chose » ? Les grandes rencontres internationales et en particulier les Jeux Olympiques sont des donneurs de temps pour les managers et leurs équipes. Bien avant la réalisation effective des compétitions, ils doivent s’inscrire dans une boucle anticipatrice que l’on peut résumer ainsi : préparer un projet pour l’olympiade 2012 – 2016 nécessite de faire le bilan des JO 2012 et de l’olympiade 2008 - 2012. Une vision rationaliste de l’action du manager suppose que sur cette base, celui-ci fixe les buts futurs et raisonne de façon régressive de l’avenir vers le présent en évaluant par anticipation les conséquences des actions qu’il entreprend sur les buts qu’il poursuit, et remonte des conséquences souhaitées vers les actions qui les produisent. Ainsi, vu du futur, le chemin qui mène jusqu’à lui semble une nécessité d’où la tentation de ne considérer que cette voie d’approche du projet et de piocher dans la traditionnelle boite à outils du chef de projet. Cela suffit-il à enclencher une démarche innovante visant à poser des questions stratégiques pour un futur … déjà la ? : cf. les débats sur la gouvernance sportive de la commission culturelle de l’Assemblée Nationale http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i4395.asp

Au final, la centration sur les moyens conduit à la prescription de nombreuses actions « ponctuelles » et « locales » mais prend le pas sur la visibilité stratégique de l’ensemble. « A l'absence de vision, on a substitué un entêtement obsessionnel de l'efficacité des moyens ; mais la stratégie ne se résume pas à l'organisation efficace de moyens pour atteindre un but » (Philippe Baumard – Le vide stratégique - 2012 p 14).  Boucle infernale cependant car la stratégie est orientée par le bilan et le bilan est orienté par la stratégie ! En se détachant d’une lecture symptomatique focalisée essentiellement sur les problèmes, il apparait important de recentrer l’attention sur une vision globale qui rend visible les dynamiques induites par le projet. Celles-ci fonctionnent sur des complexités humaines et organisationnelles largement sous estimées parce qu’elles sont ne sont pas explicitée ni collectivement élucidées, parce qu’elles impliquent l’associatif, parce qu’elles sont hors du système normatif ou encore parce qu’elles sont singulières. Cette démarche de nature prospective (cf. http://www.prospective.fr) exige donc un renouvellement des concepts et des outils pour comprendre les réalités que nous construisons pour demain : en fait nous avons du mal à appréhender ces nouvelles réalités, parce que nos modes de réflexion, souvent monocentrés et cloisonnés, peinent à initier des approches pluridisciplinaires et se saisissent difficilement de thématiques en reliance. Comme l’y invite ce blog, penser l’action dans sa complexité, c’est développer de nouveaux outils de pensée pour dépasser les tropismes habituels …

2. « La prospective du présent ». Comment faire ? D’abord en mettant à distance le sens commun de la construction de projet et/ou de scénarii prospectifs qui en anticipant les actions à venir, fige artificiellement les événements et leurs temporalités à un moment qui fait surement sens au moment où on le fait ... mais demain ? Passé, présent et futur ne sont pas des réalités, mais des représentations, des interprétations de la temporalité (cf. Etienne Klein que savons-nous du temps ? http://www.dailymotion.com/video/x3onk4_que-savons-nous-du-temps-partie-1_tech?fbc=505). Ces trois représentations sont en interactions, elles se construisent et se reconstruisent en s’influençant les unes les autres : après tout le présent actuel (il nous manque la forme ing de l'anglais pour signifier  l'idée de déroulement continu) est le futur d’un passé accompli ... qui en fait, est en train lui aussi de s'accomplir « ce qui est généré, génère à son tour ce qui le génère » (Edgar Morin 1977, p 190). A travers cette histoire événementielle, ces phénomènes de construction/déconstruction et l’attribution de sens aux événements ex ante et/ou ex post, c’est toute la question de la prospective et des phénomènes de « Path Dependence » (dépendance au sentier) qui est posée ici (cf. http://pfleurance.hautetfort.com/list/prospective-du-present-et-management-durable/le-projet-en-complexite-p-fleurance.html)

Paradoxe en effet : puisque nous construisons notre futur nous ne pouvons rien en connaitre de manière certaine et pourtant il faut bien croire en la réalité d’un futur pour relever les défis qui nous attendent afin d’impacter le présent (Jean Pierre Dupuy – Pour un catastrophisme éclairé – 2002). Bien que la prospective serve à éclairer l’action présente à la lumière des futurs possibles et souhaitables (voir les textes de l’atelier 17 de Pierre Gonod sur le site du réseau «  Intelligence de la complexité » http://www.intelligence-complexite.org et en particulier le texte ci-contre), un certain nombre d’auteurs s’interrogent sur la méthode traditionnelle des scénarios en vue de la construction de scénarii « futuribles » avancée initialement par Bertrand de Jouvenel et continuée sur le site http://www.futuribles.com (Cf. l’évolution de Michel Godet qui propose encore des outils quantitatifs – Mactor, Morphol, Micmac, … - sur le site http://www.laprospective.fr/methodes-de-prospective.html bien que dans un texte « bilan » ci-contre, il s’interroge sur le sens de ceux-ci). Ces démarches qui fonctionnent par extrapolation et qui font appel à des outils formels comme des enquêtes, des traitements statistiques, des agrégations de paramètres de nature différente, … « renforce ces effets de congruité auto-infligée par son processus consensualiste, son risque de création d'un état de groupthink et son dispositif d'expression des choix, limitant l'expression de perspectives incongrues. Il en va de même des dispositifs qui procèdent de la quantification des impacts potentiels d'événements futurs, puis de leur compilation dans des synthèses quantitatives » (Philippe Baumard, 2012 p 146). En essayant de relever les innovations, les émergences dans les actions et interactions quotidiennes des acteurs, la « prospective du présent » cherche à décaler les regards, à penser les choses autrement en s’attachant autant aux signaux faibles qu’aux tendances lourdes (cf. le texte d’Edith Heurgon, ci-contre). «  Les logiques dominantes canalisent l'observation sur des signaux qui viennent valider nos attentes, et éloignent l'attention stratégique des signaux qui viennent la contrarier. Dès lors, ce qui est « stratégique » peut très bien se situer dans cette zone d'observation délaissée, parce que, justement, elle ne permet pas de construire, ou de valider, une incongruité socialement et politiquement désirable » (Philippe Baumard, 2012 p 149). Si nous ne savons/pouvons pas anticiper ce que sera notre futur, nous pouvons travailler à rendre intelligible ce qui dans nos environnements d’action est déjà du futur et que nous ne voyons pas parce que nous n’engageons pas les questionnements ad ’hoc : cf. le rapport du conseil scientifique du conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques 2011 http://www.csfrs.fr/images/csfrs/documents/rcs_csfrs_v07_mai_30_2011%20v3.pdf

3. « Comment faire pire en croyant faire mieux ? » (Partie du titre d’un ouvrage de Maya Beauvallet - Les stratégies absurdes - 2009). Cette auteure pose la question du tactique « local » et « ponctuel » vis-à-vis de la stratégie, en interrogeant l’idéologie managériale concernant les indicateurs de performance au sein de l’organisation. Ces indicateurs « top down » consommateurs de temps et d’énergie sont difficiles à établir et génèrent souvent des comportements inverses à ceux qui sont souhaités : c’est toute la dérive de la stratégie du « New Public Management » qui est concernée ici (cf. les textes du séminaire 8 et en particulier ceux de Claude Rochet sur ce blog). La mise en avant de ces indicateurs de nature « comportementale » réifie une vision institutionnelle normative (les bons processus, les bonnes pratiques qu’il faut récompenser en posant le postulat de l’incapacité à priori des acteurs) plutôt qu’une culture, à savoir la réflexion systématique et les changements permanents nécessaires à l’amélioration continue de l’organisation.  

« Les multiples essais et approximations successives qui permettent d’avoir une amélioration continue apportent bien plus de valeur aux organisations que des prescriptions appliquées aveuglément par des managers devenus tayloriens en raison de la réduction de leur rôle à cette dimension d’agent de maîtrise » cf. http://thehypertextual.com/2012/01/04/processus-forts-culture-faible/ Cécil Dijoux (cf. ses textes dans le séminaire 4 et ceux de Damien Joliot dans le séminaire 6) résume son point de vue en affirmant que l’organisation « de demain a besoin d’une culture forte bien plus que de processus forts. C’est de cette culture forte que naîtra au niveau des équipes opérationnelles ce souci d’amélioration permanente qui permettra de faire évoluer les processus dans un but d’optimisation globale de l’organisation » (cf. ci-contre le texte sur les retours d'expérience).

4. Eviter la tyrannie du consensus à priori. Il est urgent de questionner la verbalisation, le langage, que l’on utilise pour décrire les éléments de cadrage du projet. Par la seule énonciation, on crée ou on transforme une situation donnée … si l'on reprend les thèses d’Austin (1962) sur les « actes de langage ». Dans le « dire », il y a déjà le « faire ». Que le « faire » advienne, c'est une autre histoire - mais une histoire qui ne serait jamais advenue si le « dire » ne l'avait précédée. Plus on répétera ce quelque chose plus on y croira, et plus on y croira plus il y aura de possibilités d’advenir : nous faisons le parallèle ici avec les prophéties autoréalisatrices – l’effet Pygmalion – les effets de croyances – … en faisant l’hypothèse que la discussion des catégorisations toutes faites, la remise en cause du prêt à penser et l’effort de « nomination » - de « typicalisation » est un pas sérieux vers la possibilité d’une prospective (cf. Scott Berkun http://www.scottberkun.com/essays/how-to-be-a-free-thinker)

« C'est le premier élément de ce vide stratégique : le refus systématique de l'imagination. L'expression d'un raisonnement atypique et original y fait l'objet d'autocensure, ou de pression à la conformité. Les signaux faibles y sont repoussés. Ceux qui les portent ou les mettent en avant sont stigmatisés. L'obstacle est à la fois celui de la perte de la préoccupation authentique, et la magnification des réponses toutes prêtes, engendrée par des sociétés vivant dans l'immédiateté, l'hypertrophie de la disponibilité au détriment du sens, du spectaculaire au détriment de l'analyse. (Philippe Baumard, 2012 p 147) 

5. Le management durable est par essence, participatif. Chacun prenant les limites de sa propre vision pour les limites du monde « Réformer la pensée stratégique, c'est donc avant tout s'assurer de pouvoir mobiliser des cadrages différents, voire antagonistes, dans l'interprétation des événements ». (Philippe Baumard, 2012 p 152). Le chemin d’une prospective partagée et potentiellement « soutenable » ne commence donc pas par une définition à distance, centralisé et hors contexte des objectifs et des échelles de valeurs : c’est là que nous faisons intervenir les démarches participatives, la co-construction que nous défendons dans ce blog (cf. COMMOD) : il n’y a aucune raison de ne pas associer aux dispositifs de réflexion/recherche les acteurs concernés. Ces interactions croisées multidirectionnelles (« bottom-up », « top-down », croisées, latérales, …) permettant une appropriation effective par les acteurs en situation est une co-construction négociée qui porte sur les fins, les responsabilités et les usages.

Le rôle grandissant des écosystèmes dans les enjeux de gouvernance et les démarches participatives invitent donc à sortir de la focalisation actuelle - de nature solipsiste et « descendante » - sur les figures archétypale du Manager et du Président de l’organisation (cf. le texte ci-contre : L'accompagnement et après ?) : « une impasse stratégique se définit avant tout par un état d'aveuglement, de « congruité permanente », que l'on s'inflige à soi-même. Etre en situation de vide stratégique, c'est disqualifier tout événement non conforme à la tranquillité d'un esprit que l'on a mis en sommeil » (Philippe Baumard, 2012 p 146). La prospective partagée est une activité de synthèse, de reconfiguration qui en sport comme ailleurs, nécessite une action territorialisée de réseaux et d’acteurs tenus par leurs réalités locales (cf. i) les textes sur le concept 2.0 dans ce blog et ii). Yves Caseau - Processus et entreprise 2.0 - 2011 et son blog http://organisationarchitecture.blogspot.com/)

 

13:57 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |