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14/01/2013

Modèles de la connaissance et management

La parution de l’ouvrage « La révolution de l'intelligence du corps » de Rolf Pfeifer & Alex Pitti (cf. la note de lecture ci contre) m’incite à relancer la discussion sur les modèles de la connaissance rendant compte de l’activité humaine : cf. Séminaire 2 : Le manager créateur de son monde propre ; Du « bricolage » organisationnel ? ; cf. Séminaire 4 : Manager dans la contingence au sein d'un collectif hétérogène ? Les théories standards ont généralement considéré la connaissance comme « réduite à de l’information » : les réflexions et positionnements sur le statut de la connaissance dans les organisations collectives et sur l’épistémologie de l‘action managériale sont d’autant plus importantes que l’évolution du management actuel impose à mes yeux, une prise de distance avec les modèles implicites de connaissance qui (dés)organisent les formations académiques (cf. les postulats organisateurs de cette formation indisciplinée au management dans les organisations sportives). En effet, en assimilant l’esprit humain à la machine de Turing, i.e. à un système informatique dont les compétences computationnelles signifient l’intelligence humaine (pour en juger, on peut effectuer une simulation de la machine de Turing sur le site : http://www.turing.org.uk/turing/scrapbook/tmjava.html), les sciences « classiques » de la connaissance ont réalisé le tour de force de parvenir à une conception de la cognition qui la rend indépendante des conditions biologiques, historiques et sociales de sa réalisation en tant qu’action intégrée et finalisée dans un environnement naturel. Agir et coopérer dans des environnements complexes interrogent alors la vision classique de la connaissance comme « substance échangeable » entre un émetteur et un récepteur « passif ». Dans les études « métiers » concernant les  Directeurs Techniques Nationaux et les Entraineurs Nationaux, chefs de projet performance, la connaissance organisationnelle est considérée d’abord, et avant tout, comme une pratique s’actualisant au sein de communautés dans des espaces - temps tramés d’interactions entre humains et médiées par des artefacts.

La focalisation sur l’action « pratique » conduit à ce que « Nous comprenons d’autant mieux les vivants que nous inventons et construisons des machines ». Cette remarque de P. Valéry (Cahiers XIII, 617) introduit bien la nature du questionnement de cet ouvrage pour qui « le comportement de tout système n'est pas simplement le résultat d'une structure de contrôle interne comme le système nerveux central ... (il) est également affecté par la niche écologique dans laquelle le système est physiquement intégré, par sa morphologie (la forme de son corps et des membres, ainsi que le type et l'emplacement des capteurs et des effecteurs), et par les propriétés du matériau des éléments composant la morphologie ». Les auteurs argumentent alors dans cet ouvrage à l‘aide de multiples et judicieux exemples, un paradigme alternatif traitant de l’esprit prolongé (extended mind) et de la cognition encorporée (embodied cognition) pour penser la relation circulaire action - cognition et rejoignent Francisco Varela lorsqu’il affirme que « Le cerveau n'est pas un ordinateur : on ne peut comprendre la cognition si l'on s'abstrait de son incarnation  ». L’argumentation est qu’il n'existe nulle part dans le cerveau ni dans l'organisation collective sous la forme d'un état-major décisionnel – un esprit dans la machine - siégeant au sommet du système et prenant à partir d'un « tableau de bord » et de logiciels d'aide à la décision les meilleures options possibles. Les décisions, petites ou grandes sont couplées à des états cognitivo-émotionnels (peur, plaisir, doute, défi, …) qui ne s'expriment pas sous forme de choix intellectuels mûrement délibérés mais d'actions engagées souvent dans l'urgence de l’interaction et de la contingence du faire. Il convient alors de ne pas considérer les managers comme seulement de « purs analystes » mais comme des personnes ayant des sensibilités, des émotions, des valeurs qui orientent leurs choix d’actions.

Nous rejoignons ainsi tout un courant « multi, pluri, inter, ... » disciplinaire qui s’interroge sur les rapports entre pensée et action dans des environnements « naturels ». L’approche prédominante de la recherche contemporaine s’est progressivement constituée et organisée en disciplines,  spécialités, sous spécialités, thématiques, ... de plus en plus nombreuses, chacune s’intéressant à des objets qui lui sont propres, s’appuyant sur des paradigmes qui lui sont spécifiques, et surtout développant une instrumentation, c’est-à-dire des techniques, des procédures et des protocoles d’investigation, qui lui est particulière. Cependant, de nombreux phénomènes, de nombreuses questions de recherche et/ou pragmatiques, dépassent largement le cadre strict de telle ou telle spécialité. La « multi, pluri, inter, ... » disciplinarité a précisément été envisagée par les chercheurs en complexité, pour corriger la fragmentation de la recherche, et rendre possible l’étude des phénomènes dans leur globalité. L’enjeu est alors de produire un regard neuf sur les questions du management dans les environnements dynamiques.

 

13:51 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |