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15/02/2011

Séminaire 2 : Le manager créateur de son monde propre ; Du « bricolage » organisationnel ?

1. L’idée de « monde propre » trouve son origine dans la compréhension « non mécaniciste » et « non computationnelle » de l’environnement des êtres vivants. Le biologiste constructiviste von Uexküll (1909) avance l’idée que chaque animal est le créateur de sa propre « réalité externe », c’est-à-dire d'un monde vécu (Umwelt) que l'organisme construit pour ses propres besoins. Observer alors un être vivant dans des conditions expérimentalement construites c'est lui faire un milieu, lui imposer un milieu qui devient alors, artificiel.

Or, le propre du vivant, c'est de se faire son milieu, de se composer son monde propre ce qui suppose une immersion totale, un engagement actif, perceptif et pratique, avec les composantes du monde vécu : « L’homme dans son milieu n’est jamais comme un contenu dans un contenant » (Canguilhem, 1952) et « en solidarité et en réciprocité, l’homme est continûment transformé par son action sur le milieu physique et sur le milieu social ; non simple façonnement de l’esprit par le milieu, mais va-et-vient répété et croisé, avec des points de plus ou moins grande stabilité. Esprit et milieu se façonnent ensemble ; à un environnement autre correspond un esprit quelque peu différent » (Meyerson, 1987)

2. L’idée de « monde vécu » questionne les modèles cognitifs rendant compte de l’activité humaine. L’arrivée de l’ordinateur numérique a conduit à la modélisation de comportements cognitifs humains complexes en élaborant des modèles de l’intelligence humaine (Intelligence Artificielle) adaptés au diagnostic médical, à la preuve de théorèmes mathématiques ou aux jeux de société … Ces algorithmes viennent soutenir une vision de l’intelligence humaine comme étant avant tout un système de manipulation de symboles. La psychologie cognitive s’est emparée de cette hypothèse soutenant que ce type de processus de traitement de l’information rend bien compte des mécanismes de l’intelligence et des processus d’ajustements sensori-moteurs. Les hypothèses cognitivistes et computationnalistes, stipulant que la pensée est réductible à un ensemble de calculs symboliques se donc imposées pour le sens commun. La corporéité et l’action quant à elles, sont oubliées, irrémédiablement séparées des mécanismes de l’intelligence.

Plutôt un monde vécu qu’un monde représenté ! En réaction à cette vision, les paradigmes cognitifs alternatifs définissent les comportements des humains en tenant compte de leur Umwelt. Ils s’appuient sur le renouveau d’un courant philosophique fondamentalement non dualiste qui, dans la tradition de Merleau-Ponty, conçoit la cognition comme incarnée dans le sens où elle est située dans le temps et dans l’espace, dans la rencontre vivante, en temps réel, entre un corps et son environnement (Merleau-Ponty, 1942 ; Varela et al., 1993). Nous faisons advenir le monde dans lequel nous vivons : cf. le blog dédié à ces questions : http://preparation-mentale-pfleurance.hautetfort.com

3. Le contexte au sein duquel l'activité se développe n'est donc pas une simple « circonstance » car il fait partie intégrante de notre activité. Loin d'être réduit à une source de bruit, il est considéré comme une source de connaissances que l'acteur peut - et de plus doit - savoir exploiter dans sa vie quotidienne.

Mettre en avant l’écologie de l’action, c’est tenir compte de la complexité qu’elle provoque c’est-à-dire aléa, hasard, initiative, conscience des dérives et des transformations des plans, décision, inattendu, imprévu, … qui adviennent du fait de l’action qui s’effectue effectivement – phénoménologiquement - dans le temps et l’espace.

4. Parler de « monde propre » c’est qualifier ainsi des espaces organisés d'interactions sociales – les organisations - régis par diverses conventions et usages (« le monde du DTN », « le monde du président », « le monde des athlètes ») qui les font exister chacun en tant que « monde » (et cela concerne les humains et les non humains comme le propose B. Latour 1991).

De manière plus singulière, chacun de ces réseaux et les acteurs qui les composant se fabriquent « leurs » mondes qui sont donc des « versions » particulières, et il y autant de versions que de mondes car ceux-ci varient avec les individus et leurs interactions continues.

5. On peut identifier quatre registres de la réalité organisationnelle : à un niveau plus « micro », i) l'action et les interactions entre agents et ii) la régulation c’est-à-dire l'ajustement des cours d'action entre eux ; à un niveau plus « macro », iii) l'organisation c’est-à-dire les manières de stabiliser ces interactions et de les réguler et iv) l'institution c'est-à-dire la manière dont ces organisations sont construites et reconstruites, rendues cohésives par diverses normes et valeurs. Ces niveaux sont intéressants pour ce qu’ils permettent de révéler, puisqu’ils sont à la fois objet et process : « ce qui est institué » et « ce qui institue ». On retrouve ici le caractère fondamentalement double de l’organisation, à la fois statique et dynamique : les structures, parce qu'elles sont produites, reproduites, agies sont simultanément constituées et constituantes - organisées et organisantes. L’activité s’in-forme i.e. que « l’activité/flux » fait émerger « agents de l’interaction » fait émerger « situation/état transitoire » fait émerger « activité/flux » etc. : ce qui est généré, génère à son tour ce qui le génère (Morin, 1977).

Nous privilégierons la dimension dynamique de l’institution, « ce que le collectif institue » (le « monde propre »), c’est-à-dire les transactions, les interactions, les négociations, les arrangements autour des actions, des règles et des normes. Les humains étant des « créateurs de mondes », c’est finalement l’histoire – la dynamique - d’une organisation qui nous renseigne sur elle, pas le seul examen des règles de fonctionnement en elles-mêmes.

6. Ceci renvoie à acter l’idée que le monde n’est pas « donné à l’avance » mais est un système complexe d'éléments interconnectés, s'influençant mutuellement, favorisant ainsi des reliances et des émergences. Malgré les contraintes inhérentes aux mondes dans lesquels ils évoluent les managers construisent leurs actions en fonction de considérations d'opportunités, de contingences parmi un éventail plus ou moins large de conduites possibles et que de manière incessante et nécessaire, ils participent du « bricolage » organisationnel.

10:35 Écrit par Philippe Fleurance | Lien permanent | Commentaires (0) | |